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elle aura fait dans les cœurs des ravages après tout aisément réparables, finira peut-être par faire une très honnête femme.

Reste la chasse au mari qu’on leur reproche de pratiquer pour leur compte, et il pourrait bien y avoir un peu de vrai, la coutume n’étant pas, comme en France, de laisser chasser ses père et mère. Ici encore je demanderai à laisser de côté les excentricités, les imprudences, les hardiesses dont on peut citer des exemples, pour n’examiner que la théorie. Il n’est pas très étonnant qu’une jeune fille américaine considère son mariage comme une affaire concernant bien moins sa famille qu’elle-même, et partant, qu’elle s’en occupe un peu davantage, puisqu’elle a la certitude qu’elle sera épousée pour son propre agrément. L’usage n’est point en Amérique, même dans les familles les plus riches, de donner une grosse dot aux filles, et si ab intestat elles ont le même droit que leurs frères, l’absolue liberté de tester fait que rien ne leur est garanti dans l’avenir. Il est même très fréquent que la presque totalité de la fortune soit laissée à celui des fils qui est le plus capable de continuer à conduire les affaires du père. Pendant que j’étais en Amérique ont eu lieu les fiançailles de la fille d’un de ceux qu’on appelle les nababs de New-York, et je croyais, avec mes idées françaises, que son futur faisait ce que nous avons coutume d’appeler un beau mariage. « Détrompez-vous, m’a-t-on dit; Mlle X. aura sans doute plusieurs millions, mais ce n’est absolument rien auprès de l’immense fortune de son père, qui ira presque tout entière à ses frères. Son fiancé le sait à merveille, et ce ne sera pas un mécompte pour lui. « Il est donc parfaitement naturel qu’une jeune fille américaine, sachant que sa dot ne lui servira de rien, ait à cœur de se faire connaître, et, par une juste réciprocité, de connaître elle-même. « J’ai remarqué avec effroi, dit dans un roman français un célibataire endurci, que les jeunes personnes se ressemblent toutes. » On ne saurait en dire autant aux États-Unis. Dans cette entreprise, chacune se montre, en effet, suivant sa nature, mesurée ou hardie, réservée ou coquette. Le droit des parens se borne à être les premiers informés et à opposer une sorte de veto moral, dont les enfans tiennent ou ne tiennent pas compte suivant les cas. Sans doute, ce système a bien ses inconvéniens, et l’inexpérience des jeunes filles les expose à des erreurs irréparables. Mais l’expérience des parens n’en commet-elle pas aussi? C’est ce qui m’a été répondu par une jeune fille avec laquelle je discutais cette question délicate. Comme je lui faisais observer que, la jeunesse et l’entraînement aidant, une jeune fille pouvait aisément se tromper dans son choix : « Est-ce que les parens ne se trompent pas aussi? reprit-elle avec vivacité. Eh bien! si je dois être malheureuse, j’aime mieux l’être par ma faute que par celle de mes parens. » Cet argument m’a, je l’avoue, laissé sans réplique.