pour les propager et les soutenir, journaux d’un prix singulièrement réduit qui coûtent plus cher à fabriquer qu’ils ne se vendent, mais qui sont une source de bénéfices assurés puisqu’ils poussent les abonnés à des opérations dont les metteurs en œuvre de cette prose spéciale savent recueillir bonne mouture. Cette presse de tripotage et d’argent est née sous le second empire ; elle a pris aujourd’hui des proportions telles que l’on n’en est plus à compter les journaux qui la représentent.
À la Revue de Paris, comme dans les autres recueils périodiques sérieux, nous nous tenions résolûment à l’abri de ces écarts, nous restions dans notre tente littéraire et, sous aucun prétexte, nous n’en sortions. Nous faisions de notre mieux, car le bon vouloir ne faisait défaut ni à Laurent-Pichat ni à moi. Nous n’avions pas hésité à doubler le nombre de nos livraisons, de façon à en avoir vingt-quatre au lieu de douze, ce qui nous permettait d’exercer une hospitalité plus large, quoique plus coûteuse. Nous avions tenu à ce que la poésie ne fût jamais exclue de notre petite maison ; chaque livraison eut ses vers, et plus d’un écrivain qui est devenu célèbre a chanté ses premières strophes à nos côtés. Aussi, dès qu’une pièce de vers était née quelque part, on nous l’apportait, et bien souvent elle ne nous semblait pas digne du baptême. Là, plus que partout ailleurs, j’ai pu constater les illusions que les hommes se font sur eux-mêmes et l’implacable vanité qui les dévore. Moins le talent est réel, plus la vanité est excessive, plus elle est susceptible, plus on la blesse dès qu’on ne l’encense pas. C’est un spectacle pénible, mais qui n’est pas sans utilité et qui rend modeste. J’ai conservé quelques lettres qui me furent adressées à cette époque par de pauvres garçons infatués d’eux-mêmes et que de loin j’ai suivis dans leur existence. L’un d’eux, auquel j’avais benoîtement dit : « Nous sommes prêts à vous aider à faire votre trou, » me répondait : « Je ne veux pas faire mon trou, monsieur, je veux bâtir un monument. » Un autre m’écrivait : « Sachez que l’enfant de vingt ans qui vous parle est tout à la fois artiste, acteur, peintre, poète, philosophe, économiste ; sachez que le rôle que je veux me faire sur cette terre est celui de Socrate et du Christ ; je dois donner une foi au monde ! » Un troisième m’adressait des propositions : « Je vous fournirai de quoi alimenter votre recueil, de quoi en assurer le succès : roman, poème, critique littéraire, philosophie, histoire, études domestiques, biographies d’artistes ; je suis encyclopédiste et inépuisable. Je vous prie de me réserver, pour commencer, trois feuilles (48 pages) par numéro ; j’irai vous en causer ; je n’ai rien de prêt, mais huit jours me suffisent pour abattre un volume. » Celui-là ne m’en causa pas, car sa lettre m’avait édifié ;