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garder le silence à cet égard. » A la question de l’un de nous : « Mais quelle démonstration? » Collet-Meygret répondit : « Je n’ai rien de plus à vous dire. » Les imaginations ne furent point en reste d’inventions; d’hypothèse en hypothèse, nous arrivâmes à découvrir que la veille, pendant que l’empereur visitait le musée d’artillerie, un officier s’était emparé du couteau, — du prétendu couteau de Ravaillac, — avait voulu tuer le souverain et avait été désarmé par un des hommes de la suite. Le soir, tout Paris répétait cette histoire, dans laquelle il n’y avait rien de vrai. En réalité, Napoléon III avait été au musée d’artillerie examiner le premier modèle des canons rayés que l’on allait adopter dans l’armée française. Les précautions prises par Collet-Meygret eurent pour résultat de faire circuler des bruits de complot et de tentative d’assassinat qui inquiétèrent la population. Il faut être bien intelligent pour posséder le pouvoir et n’en point abuser; ce genre d’intelligence, Collet-Meygret ne l’avait pas. D’où venait-il? Je l’ignore. Où allait-il? Je le sais bien.

Ce n’était point un mauvais homme, tant s’en faut; c’était un parvenu qui se croyait fort et n’était que naïf. Il avait lu Balzac, l’avait étudié, s’en était imprégné, comme bien des hommes de cette époque. Être Rastignac ou Marsay, ce fut le rêve de plus d’un. Collet-Meygret crut à ces fictions; il se mit en mesure de tenir en main les puissans de la terre et d’établir son pouvoir futur sur les secrets qu’il était à même de pénétrer. En qualité de directeur de la sûreté générale, il avait un maniement de fonds secrets considérable; il ne les épargnait pas et s’en servait pour faire surveiller les principaux personnages de l’état. Il avait le dossier de l’empereur et de bien d’autres. Il se croyait inébranlable et maître de toute situation. A la première alerte, à la première menace, ne pouvait-il pas dire : « J’ai votre secret, osez donc me déplacer? » Je n’ai pas à raconter comment tous ces papiers se trouvèrent, un beau jour, entre les mains de l’empereur. Collet-Meygret s’écroula. — On essaya d’en faire un receveur-général, un consul, et l’on n’y put réussir. La journée du 4 septembre emporta l’empire et amena la république. Collet-Meygret entra dans des affaires industrielles, qui n’eurent pas à s’en louer. Il est mort après avoir fait une saison à Sainte-Pélagie.

Cet homme fut le grand maître, — j’allais dire le grand inquisiteur, — de la presse périodique pendant une bonne partie de l’empire. Il ne ménageait ni les avertissemens ni les suspensions; en province, les préfets rivalisaient de zèle pour suivre le bon exemple. Le scandale finit par devenir tel que l’empereur s’émut et déclara que nulle mesure disciplinaire ne serait désormais appliquée