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qu’elle va vers tous les instituteurs de France, et c’est ainsi qu’au lieu de créer l’enseignement neutre, comme le dit M. Jules Ferry, elle est comme une tentative violente, préméditée pour accomplir une révolution de secte. C’est un fanatisme d’un autre genre disposant des ressorts de l’état, se servant des forces publiques et du budget pour créer en quelque sorte une France nouvelle en lui enseignant que les croyances religieuses sont bonnes pour le passé et pour les temps obscurs, que Dieu est une affaire de prêtres, que la patrie française ne daté que de la révolution.

M. le ministre de l’instruction publique aurait eu sans doute un moyen bien simple pour imprimer à sa loi un autre caractère, pour dissiper toute équivoque. Il n’aurait eu qu’un mot à dire, une réserve à exprimer. Il n’avait qu’à saisir l’occasion pour préciser la pensée, les intentions du gouvernement, pour donner lui-même le commentaire impartial de la loi nouvelle. Il n’a pas même voulu paraître en dissidence avec M. le président de la commission lui offrant l’appui d’une déclaration d’athéisme. Chose curieuse! on lui a demandé ce qu’il ferait dans les écoles où les congréganistes qui restent encore enseigneraient un peu de catéchisme, et il a répondu sans hésiter qu’il ferait exécuter la loi, en d’autres termes, qu’il ne laisserait pas subsister ce reste d’instruction religieuse. On lui a demandé, d’un autre côté, ce qu’il ferait si le « manuel » de M. Paul Bert était enseigné dans les écoles publiques, et il ne s’est pas sûrement compromis par ses déclarations. Il aurait craint de désavouer un allié, de paraître un champion trop tiède de la cause « laïque, » de s’aliéner peut-être des appuis dont il croit avoir besoin, — et c’est là justement ce qui peint le mieux cette situation d’aujourd’hui, où le parti le plus violent est toujours sûr d’avoir le dernier mot. Le gouvernement a peut-être par lui-même d’autres idées, et même, si l’on veut, des intentions de prudence; il n’oserait les avouer et surtout s’en inspirer dans sa conduite. Il se croit obligé de suivre le courant, de satisfaire les préjugés et les passions de ce qu’il appelle sa majorité, d’aller même parfois au-devant des fantaisies les plus excentriques, de peur d’être suspect. Qu’une dénonciation vulgaire signale la rentrée silencieuse et certainement inoffensive de quelques religieux dans un couvent, ce ministère plein de bonnes intentions se hâte de mettre en campagne gendarmes, soldats et commissaires de police pour-aller déloger les bénédictins de Solesmes, au risque de paraître s’acharner contre un ordre qui a été l’honneur de l’érudition française. Que devant un tribunal quelques jurés ou quelques témoins, en très petit nombre, refusent le serment au nom de Dieu, aussitôt, sans perdre un jour, on propose un projet modifiant le serment, donnant satisfaction à quelques tapageurs vaniteux. Il faut avant tout s’occuper de ceux qui font du bruit, il faut respecter