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les préjugés, les intérêts. ou les fantaisies, en flattant même, s’il le faut, quelques radicaux. Il est surtout bien plus commode, dès qu’il y a quelque difficulté, de toucher le point sensible, de raviver les ardeurs anticléricales, de revenir à la croisade contre les influences religieuses: avec cela on est sûr de faire oublier pour un instant tout le reste et de se tirer d’embarras en ralliant une majorité plus compacte, il est vrai, qu’éclairée. Le procédé n’est pas nouveau; il est invariable et s’il n’a pas sauvé M. Paul Bert, qui a disparu dans le naufrage de M. Gambetta, il a plus d’une fois été utile à M. Jules Ferry, qui, avec plus de mesure et de tenue ou moins de brutalité, poursuit au fond le même dessein.

On l’a bien vu tout récemment dans cette longue et vive discussion qui vient de se dérouler devant le sénat au sujet de la loi sur l’enseignement primaire obligatoire et laïque, définitivement votée désormais. Il y a longtemps déjà que cette loi, préparée par M. Jules Ferry, a été proposée et qu’elle a commencé à voyager du Palais-Bourbon au Luxembourg, du Luxembourg au Palais-Bourbon, pour revenir une dernière fois devant le sénat, il y a bien plus longtemps encore que cette question épineuse de l’obligation dans l’enseignement primaire a été un objet de méditation pour tous ceux qui se sont préoccupés de l’éducation du peuple. On n’a rien inventé. Dans tous les cas, ceux-là mêmes qui depuis longtemps n’ont point hésité à considérer l’obligation comme une nécessité, comme une contrainte bienfaisante, ceux-là étaient les premiers à reconnaître que la condition nécessaire de cette loi rigoureuse de l’obligation devait être de respecter les sentimens, les croyances des populations, de faciliter l’instruction religieuse, de ménager les familles, de ne pas faire surtout d’une mesure d’utilité sociale une victoire de parti ou de secte. C’était, comme l’a rappelé M. Jules Simon, l’opinion des républicains d’autrefois, de ceux de 1848, qui regardaient comme un honneur pour la république d’inscrire dans le programme de l’enseignement obligatoire l’instruction morale et « religieuse. » Jusqu’à ces dernières années encore, on sentait qu’il y avait là un intérêt à respecter. Le sénat n’avait fait après tout que suivre cette tradition en inscrivant l’été dernier dans un amendement que les instituteurs devraient enseigner à leurs élèves leurs devoirs « envers Dieu et envers la patrie. » M. le ministre de l’instruction, publique, de son côté, avait admis au début et l’ancienne chambre elle-même avait voté que les ministres des différens cultes pourraient aller dans les écoles pour donner, en dehors des classes, l’instruction religieuse aux enfans qui voudraient la recevoir. C’était bien modeste, bien entouré de précautions, bien peu compromettant; il y avait du moins la préoccupation d’un intérêt sérieux. Aujourd’hui les docteurs du progrès « laïque » ont parlé, tout cela a été effacé dans les dernières délibérations! Il ne reste plus rien, ni de l’amendement du sénat ni de la