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avec une sorte d’acharnement, que pour le ministère qui lui a succédé, et, à y regarder de près, cette majorité est une masse assez confuse qui obéit à des mobiles insaisissables, qui le plus souvent n’ose résister à une proposition se donnant une couleur républicaine. Les plus modérés, de peur d’être suspects, suivent les plus hardis ou les plus excentriques, de sorte que ces institutions dont jouit aujourd’hui la France forment un ensemble où l’assemblée la plus éclairée, la plus instruite, doit subir la loi de l’assemblée la plus inexpérimentée, et où dans cette dernière chambre elle-même les hommes sensés, les politiques, sont entraînés et conduits par les violens, quelquefois par les fous. En d’autres termes, c’est le régime constitutionnel et parlementaire pratiqué dans un esprit et avec des procédés qui en sont la négation. Le ministère lui-même suit le courant ou, si l’on veut, se met à côté pour ne pas être emporté. Il respecte certainement le sénat, mais il lui dit ce que M. le ministre de l’instruction publique disait ces jours derniers encore : Ne discutez pas, votez ce que l’autre chambre a voté, sans cela la révision vous menace! Le ministère est plein d’intentions modérées et généreuses ; seulement il veut avoir la majorité, qui elle-même ne veut pas se brouiller avec le? radicaux. Au premier incident, au premier signe, il est prêt à faire ce qu’on voudra, et tout aboutit au même point, à ce que nous voyons, — à cette sorte de république semi-conventionnelle conduite par les passions du parti dominant, à peine mitigée par ce qui reste de tolérance de mœurs et de goûts libéraux dans la société française.

Assurément, même dans la chambre telle qu’elle existe aujourd’hui, même dans cette majorité si incohérente et si prompte à tous les entraînemens comme à toutes les faiblesses, il y aurait encore, si on le voulait, des élémens dont on pourrait se servir pour rendre au régime constitutionnel sa vérité et sa force, pour replacer les affaires du pays dans de plus sérieuses conditions d’équité et de sincérité. On dit quelquefois que ces élémens existent, et c’est possible. Que faudrait-il donc pour relever et rectifier une situation qui n’est après tout ni franche, ni régulière, ni rassurante pour l’avenir? Il faudrait d’abord le vouloir, c’est bien certain; il faudrait se décider à tenter quelques efforts, à soutenir quelques luttes pour arrêter au passage ces propositions que M. Jules Simon appelait l’autre jour des « insanités, » pour décourager les manifestations et les velléités dangereuses, pour maintenir au besoin les droits et l’indépendance du sénat. Il faudrait définir une politique, avouer ce qu’on veut, préciser le terrain sur lequel qu’entend combattre. Malheureusement, dans ces luttes qui auraient leur grandeur, bien des députés craignent d’être peu compris, de rester isolée ; le gouvernement craint de n’être pas suivi, et on hésite. Il est bien plus facile de laisser aller les choses, de ne s’attacher qu’aux positions qu’on peut défendre sans péril, en abandonnant le reste, de ménager