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années. Mais, pour tout dire, je ne voudrais pas que M. Perrin et les sociétaires, trop animés par une victoire dont ils ont la meilleure part, en vinssent petit à petit à n’en plus chercher que de pareilles. Il est beau pour des comédiens de vaincre au besoin sans auteur ; il serait mauvais de s’habituer à s’en passer tout exprès. MM. Erckmann-Chatrian, cette fois, n’ont fourni que le champ de bataille; nous souhaitons qu’à la prochaine rencontre, ils donnent de leur personne.

C’est que le temps est loin où Samson, le parfait comédien et l’excellent homme dont on vient de publier les Mémoires, s’étonnait que l’on demandât aux élèves du Conservatoire de signer l’acte additionnel. Nos comédiens d’état ne sont plus des sujets liés plus étroitement que d’autres à l’état et dans sa dépendance : ils sont une des puissances de l’état, un des grands corps de la nation. Et comment s’étonner de cette importance nouvelle? Dans notre société divisée, morcelée et refaite presque au hasard d’élémens si divers, on se connaît peu et chacun craint de heurter son voisin; la politique nous divise; la finance ne fournit que des sujets arides et parfois brûlans ; la littérature et l’art demandent trop d’application : le théâtre, presque seul, offre une matière d’entretien publique et sans danger, — j’entends la discussion sur les mérites et les personnes des acteurs, car un débat sur la pièce serait trop abstrus et littéraire. On parle donc beaucoup des comédiens et des comédiennes. On en parle dans les clubs, dans les salons, autour d’une table à jeu, autour d’une table à thé.

On en parle même au théâtre et sur les planches : la vogue de ce sujet est si grande qu’on a représenté cette quinzaine deux petits actes en vers, l’un à l’Odéon et l’autre au Vaudeville, qui, tous les deux, ont réussi : une Aventure de Garrick et l’Auréole ; le héros de l’une est un acteur, l’héroïne de l’autre une actrice. Garrick, à l’Odéon, c’est M. Porel ; deux jeunes auteurs, MM. Fabrice Labrousse et Fernay, ont fait voir gaîment de quelle manière le grand comédien anglais dupa des comédiens français qui prétendaient le duper. Au Vaudeville, c’est Mlle Réjane qui dissipe au bénéfice d’une jeune veuve «l’auréole » dont un galant naïf la voyait entourée, elle, Anita, la rivale des Judic et des Granier. Il faut dire que l’auteur, M. Jacques Normand, a rimé là de jolis vers de comédie; que la petite pièce est disposée adroitement pour admettre des hors-d’œuvre ingénieux; que Mlle Réjane a de l’intelligence et de l’entrain; M. Colombey, de la finesse, et que Mlle Lody leur donne gentiment la réplique. Mais quelqu’une de ces chances fit-elle défaut à l’ouvrage, le public serait encore content d’être admis dans le boudoir d’une actrice.

Vous verrez sa joie lorsque, dans ce musée Grévin qui va s’ouvrir, il sera initié aux mystères du foyer de la Comédie-Française; lorsqu’il touchera du coude un Got, un Coquelin, un Worms, un Delaunay en