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humaines, comme nous pouvons en rencontrer chaque jour ; la scène est dramatique, éminemment dramatique, parce que les auteurs après avoir comme à plaisir évité de le former, nous font voir soudain le nœud du drame au moment de le dénouer.

Mais un effet de lumière et la lecture d’un contrat, quelque place choisie qu’ils occupent dans un ouvrage de théâtre, ne suffisent pas à lui donner la valeur d’un drame, et peut-être on s’en serait aperçu si l’on n’avait pris tant de plaisir, je le répète, à voir, après beaucoup d’autres d’un genre exactement contraire, une pièce peu compliquée dont les héros sont de petites gens, des gens de province et de bonnes gens. Telle est du moins ma conviction sincère, et c’est là seulement ce qui m’empêche de donner à M. Busnach cet avis qu’il pourrait découper des pièces pour la Comédie-Française dans presque tout l’œuvre des conteurs allemands du second ordre. Il ferait applaudir à ce jeu, non-seulement le Tonnelier de Nuremberg d’Hoffmann, mais la plupart des nouvelles de Zschokke et les Histoires de village du bon Auerbach. Là aussi l’on trouve, au témoignage de M. J.-J. Weiss, « de vrais bûcherons, des conscrits, des cabaretiers et des maîtres d’école de la Forêt-Noire. Ces œuvres diverses, empreintes du même respect pour la réalité et inspirées par le même besoin d’une poésie dramatique et populaire, ressemblent toutes en ce point à Hermann et Dorothée qu’elles ont pour effet de nous rendre la vie aimable, et qu’on ne peut les lire sans être disposé à croire les hommes meilleurs et sans respirer en quelque sorte un air plus pur... » Que serait-ce donc si M. Perrin montait la pièce tirée par Töppfer justement d’Hermann et Dorothée! Mais non, Hermann rencontre Dorothée à la fontaine; il lui parle, elle lui répond : ce serait encore l’Ami Fritz, ce ne serait plus les Rantzau; il faudrait, pour rentrer dans le genre inauguré par cette pièce, que le pasteur ou l’apothicaire devînt le personnage principal de l’ouvrage.

Aussi bien je ne défierai pas MM. les sociétaires de la Comédie-Française de tenir cette gageure et de la gagner; avec l’aide de M. Perrin, ce prince des metteurs en scène, ils y parviendraient sûrement. Ils donnent, ces comédiens, par un sortilège de leur art, non-seulement l’illusion de la vie, mais l’illusion du style. Je n’examinerai pas si la poésie des auteurs, cette poésie qui veut être « domestique et populaire, » n’est pas, comme dirait M. Weiss, sinon « factice, » du moins « purement extérieure et puisée à des sources accessoires. » Je n’examinerai pas si le bonhomme Florence n’est pas animé d’un mouvement plutôt mécanique que naturel, ni si l’habileté de l’artiste est nécessaire pour nous faire accepter jusqu’au bout l’artifice de sa bonhomie; je ne chercherai pas même si l’un des procédés d’expression de cette bonhomie convenue n’est pas une certaine médiocrité du style,