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autoriser les ministres des différens cultes à donner l’instruction religieuse dans les locaux scolaires le dimanche, les autres jours de vacance et une fois par semaine à l’issue de la classe du soir. » Cet amendement a été rejeté par la chambre, et le sénat en a fait son deuil. Il a été décidé, aux termes de l’article 2, que l’enseignement religieux serait donné en dehors des bâtimens scolaires, et il n’est pas besoin de signaler toutes les difficultés qu’on lui ménage ainsi dans une foule de communes. Le ministre a promis, il est vrai, de s’employer à y parer, et nous ne doutons pas de sa bonne foi; mais il était plus simple d’accorder ce qu’on lui demandait, La république française est un pays de liberté de conscience, mais jusqu’aujourd’hui elle est un pays de concordat, et son gouvernement est tenu de concilier la neutralité avec la bienveillance. Après tout, la religion était fort modeste, elle demandait peu; elle venait humblement frapper à la porte de l’école, en disant : « Ouvrez-moi, je suis sans feu ni lieu, et je cherche un asile; j’attendrai pour entrer que vous n’ayez rien de mieux à faire, que vous soyez de loisir ou en vacances, que la classe du soir soit finie; je m’engage à ne pas vous déranger. » La main sur le verrou, on lui a répondu brutalement : « Allez où il vous plaira, trouvez un local ou n’en trouvez pas, ce ne sont pas nos affaires; nous sommes chez nous et vous n’entrerez point. » Le marquis Gino Capponi, de vénérable mémoire, disait à propos de la fameuse loi des garanties, dont il blâmait quelques articles : « Il ne suffit pas qu’une loi soit juste, il faut encore qu’elle soit de bonne compagnie. »

On a banni la religion de l’école, on lui a refusé le droit d’asile ; mais dans le fond on a craint de ne pouvoir se passer d’elle, que son absence ne fût sentie et regrettée, et on a tenu à la remplacer. On a voulu dresser autel contre autel, et l’instituteur a été chargé de donner à ses élèves « l’instruction morale et civique, » Il faut convenir que ces deux adjectifs joints font admirablement; mais il est bon de se défier des adjectifs, surtout quand ils ne sont pas clairs. « Vos paroles sèment les malheurs! répondait un éloquent avocat bordelais à un de ses confrères qui venait d’émettre une définition de droit grosse de conséquences fâcheuses. » M. Bréal avait demandé autrefois que l’instituteur prît à tâche de donner à son enseignement un caractère moral, que sans s’écarter du sujet de sa classe, il mît à profit toute occasion de faire réfléchir les enfans sur leurs obligations et de leur apprendre « qu’il faut remplir ses devoirs si l’on veut être écouté quand on parle de ses droits, respecter les opinions d’autrui pour obtenir le respect de ses propres convictions, préférer la patrie à son parti[1]. » Rien de mieux, rien de plus praticable. Mais si l’instituteur

  1. Quelques Mots sur l’instruction publique en France, par M. Michel Bréal; Paris, 1872, page 124.