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de la notification, en faisant savoir au maire quelle école ils ont choisie. En cas de non-déclaration, l’inscription aura lieu d’office, comme il est dit à l’article 8. » Vraiment les hommes de la révolution étaient plus libéraux que nos législateurs. Daunou, que M. Duruy n’a pas assez loué, réclamait « la liberté de l’éducation domestique et la liberté des méthodes instructives. » — « Il ne faut pas, disait-il, consacrer et déterminer par des décrets des procédés qui peuvent s’améliorer par l’expérience de chaque jour. » La loi qui vient d’être votée est absolument contraire à la liberté des méthodes et aux expériences qui les perfectionnent. Qui nous délivrera de notre goût pour les chinoiseries? A-t-on juré que désormais dans une noble nation, de fine étoffe, il n’y aura plus d’originaux, que trente-six millions de Français ne seront plus que la copie les uns des autres et qu’ils se ressembleront si fort qu’on pourra se dispenser de leur donner des noms de famille et de baptême? Des numéros suffiront.

En rendant l’instruction obligatoire, on l’a rendue laïque. C’était dans l’ordre des choses, et nous n’y trouvons rien à redire. Du jour où il n’y a plus dans un pays de religion officielle, du jour où l’état, proclamant la liberté de conscience et se désintéressant de toute question de dogme, protège et salarie plusieurs églises entre lesquelles il tient la balance égale, il est naturel que l’école qu’il patronne devienne laïque ainsi que lui et que les diverses confessions, y compris le diocèse de la libre pensée, s’y sentent également à l’aise comme en pays neutre, sans qu’aucune puisse se prévaloir du nombre de ses adhérens ou de son droit d’aînesse.

Dans le premier chapitre de son livre, M. Albert Duruy a rassemblé et résumé des renseignemens fort curieux sur l’état de l’instruction publique avant 89. Les fameuses petites écoles de l’ancien régime étaient, nous apprend-on, beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus fréquentées que nous n’étions portés à le croire. Mais les instituteurs se trouvaient dans une entière dépendance du clergé, qui les tenait dans sa main. Ils étaient d’ordinaire désignés par le curé, qui répondait de leur orthodoxie, et choisis par l’assemblée des pères de famille, après un interrogatoire assez succinct. En même temps que maîtres d’écoles, ils étaient sacristains, chantres, bedeaux, sonneurs de cloches, horlogers, voire même fossoyeurs, et à ce titre payés par la fabrique ou par la communauté. Ils devaient assister aux enterremens à raison de 20 sols, aux. mariages à raison de 15 sols et d’un dîner. Le peu de temps qui leur restait, ils l’employaient à montrer à leurs élèves leur croix de par Jésus et le plain-chant, et si l’évêque ou son archidiacre n’était pas content de leur doctrine, ils étaient cassés aux gages sans façons. Grâce à Dieu, tout cela est fort changé. L’instituteur a secoué le joug qui lui pesait, il a redressé par degrés sa tête et ses épaules, le voilà debout. Tout ce qu’on pourrait craindre, c’est qu’il ne se redressât