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leur sang pour empêcher que des soldats étrangers ne mettent le pied sur son sol sacré. Est-ce que les étrangers ont les mêmes devoirs à remplir? est-ce qu’ils doivent acquitter les mêmes charges? est-ce qu’ils peuvent jouer le même rôle? D’abord, toutes les fois qu’un conflit s’élève entre leur pays d’origine et le pays de leur résidence, ils sont rigoureusement astreints à prendre parti pour le premier contre le second. Ensuite, quand leur pays d’origine n’aurait rien à réclamer d’eux, que leur importent le développement matériel et moral, la dignité, la grandeur, la gloire de celui qu’ils traversent? Qu’on l’amoindrisse au dedans ou au dehors, ils s’en soucient assez peu, pourvu que rien n’atteigne leur propre bien-être, et nous devons avouer qu’ils ont le droit de ne pas s’en soucier. Ce serait donc une grande inconséquence que de les traiter comme des nationaux.

Un peuple a tout d’abord le droit de se demander ce que des étrangers viennent faire sur son territoire. Il n’est pas bien extraordinaire, à coup sûr, que des Anglais, des Allemands ou des Italiens séjournent plus ou moins longtemps en France; ce n’en est pas moins un fait accidentel. En règle générale, la population d’un pays se compose de ses nationaux : ceux-ci l’habitent parce qu’ils y sont nés, qu’ils s’y sont mariés, qu’ils en parlent la langue, qu’ils y trouvent naturellement le moyen de travailler et de vivre. Pourquoi le quittent-ils? Il serait puéril d’exercer une sorte d’inquisition sur chacun de ces étrangers qui franchissent notre frontière ; mais il serait absurde d’abdiquer systématiquement le droit de sonder leurs intentions et de leur en demander compte. Voici, par exemple, deux pays limitrophes qui, sans que les relations diplomatiques aient été rompues, ont plusieurs sujets de mésintelligence : on a même commencé, je le suppose, sans que la guerre soit déclarée, des préparatifs de guerre. Il serait extravagant de laisser entrer de parti-pris des émissaires qui viendraient surveiller des travaux défensifs, lever le plan de certains forts, épier les côtés faibles de l’organisation militaire, susciter l’agitation dans les villes populeuses, fomenter et entretenir des grèves. Un gouvernement qui s’obstinerait à laisser pénétrer ces espions, ces fauteurs de guerre civile, et leur tendrait les bras en fermant les yeux sacrifierait la patrie à une chimère et trahirait son mandat.

Son devoir ne change pas parce que les étrangers se sont installés sur son territoire. Ceux-ci sont des hôtes, je le sais, et je consens qu’on les traite en conséquence, c’est-à-dire qu’on pratique envers eux l’hospitalité de la façon la plus large. On a bien souvent cité cette phrase de Cicéron (de Officiis, liv. III, c. XI) : Usu vero urbis prohibere peregrinos sane inhumanum est. Le précepte est excellent et je n’y contredis pas, pourvu qu’on ne le détourne pas de son