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un culte étranger. Des gens habitués dès l’enfance à des divinités propres au pays, faites pour lui, et qui les confondaient avec la patrie, auraient eu plus de peine à comprendre et à accueillir un Dieu qui prétendait être celui de tous les pays et de tous les hommes ; il y aurait eu au premier moment des surprises, des colères, qui pouvaient arrêter dans son développement, ruiner peut-être pour jamais une religion naissante. Heureusement pour elle les relations devenues plus fréquentes entre les diverses contrées avaient émoussé partout le fanatisme religieux comme l’esprit national. Les hommes ne restaient plus cantonnés dans leurs opinions et s’accoutumaient aux nouveautés ; au contact l’une de l’autre, les croyances s’affaiblissaient ; les fidèles des divers dieux, en se fréquentant, apprenaient à se supporter. Dans tous les cas, s’ils étaient tentés d’user entre eux de violence, Rome ne l’aurait pas permis. Elle respectait tous les cultes, mais elle les forçait à se respecter ; si elle souffrait les discussions, elle défendait les disputes et punissait l’intolérance quand elle devenait du désordre. M. Renan fait très justement remarquer que le christianisme risquait de disparaître dans une émeute de Juifs et que tous les apôtres auraient probablement fini par avoir le sort de saint Jacques, si les magistrats romains ne les avaient protégés ; ils ont été d’abord les sauveurs d’une religion qu’ils devaient plus tard cruellement persécuter.

L’empire a donc facilité au christianisme ses premières conquêtes ; il lui a rendu plus tard d’autres services sur lesquels il convient d’insister. M. Renan a très bien montré que le christianisme traversa une crise très grave vers le commencement du IIe siècle. Les premières églises n’avaient pas été organisées pour vivre, « c’étaient des conventicules de saints du dernier jour se préparant à la venue du Christ par la prière et l’extase. » Du moment qu’on croyait la fin prochaine, il était inutile de songer beaucoup au lendemain. Mais quand on vit que le monde s’obstinait à ne pas périr et que ce dernier cataclysme, annoncé avec tant d’assurance attendu avec tant de joie n’arrivait pas, il fallut bien changer un peu le caractère des premières institutions, et donner à la société nouvelle le moyen de durer : c’est de ce besoin qu’est né l’épiscopat. Je m’attendais, je l’avoue, à voir l’institution de l’épiscopat sévèrement jugée par M. Renan ; il a dépeint avec tant de plaisir la vie indépendante de la petite communauté de Jérusalem qu’il devait, ce semble, éprouver quelque répugnance à la voir renoncer à sa liberté et se mettre sous le joug. Il n’en est rien pourtant, et M. Renan n’hésite pas à reconnaître que l’épiscopat a sauvé l’église ; sans lui, sans sa direction puissante, elle se serait bientôt perdue dans l’anarchie. « Les divergences de doctrine, les rivalités, les amours-propres non satisfaits, auraient opéré à l’infini leurs effets de désunion et