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l’empire romain est liée à celle du christianisme, et de les faire marcher ensemble : c’est un élément puissant d’intérêt pour ses récits.

Ai-je besoin de dire que le tableau qu’il nous présente de la situation de l’empire au Ier siècle, et que ses jugemens sur les institutions et sur les hommes sont empreints d’une libérale impartialité ? Il n’est pas de ceux qui font payer au passé les fautes du présent et qui portent dans le récit des événemens anciens le ressentiment des querelles de nos jours ; il ne se croit pas obligé de maltraiter l’empire romain, uniquement parce qu’il s’appelle l’empire. S’il ne dissimule pas le mal qu’on peut en dire, il se garde aussi d’en taire le bien. Il reconnaît qu’il fut accueilli avec faveur des, provinces et qu’en général il les gouverna sagement ; que, depuis Auguste jusqu’à la fin des Antonins, la moralité publique fut toujours en progrès ; que, même sous les plus méchans princes, on fit de bonnes lois ; que le sort de l’enfant, de la femme, de l’esclave devint meilleur ; enfin, qu’à l’exception de l’aristocratie romaine, qui eut à traverser des momens terribles, le monde jouit pendant deux siècles « d’une splendeur et d’un bien-être sans exemple. » Ce sont des vérités qui ne sont plus contestées aujourd’hui que par l’ignorance ou l’esprit de parti.

Dans ce tableau de l’empire, M. Renan insiste naturellement sur les facilités qu’il offrait à la propagation de l’évangile ; elles sont visibles et ne peuvent échapper à personne. Les pères de l’église en ont été si frappés qu’ils ont regardé quelquefois l’établissement du régime nouveau comme un événement providentiel et qu’ils ont fait d’Auguste une sorte de collaborateur de l’œuvre divine. Sous la main d’un prince, l’unité de l’empire était devenue plus visible et plus réelle, on s’avisait moins de la troubler ; la police du monde était mieux faite depuis qu’un seul homme en avait le soin. C’était un grand bonheur pour la religion nouvelle : dans des pays agités de querelles intérieures, méfians pour les étrangers, en guerre avec leurs voisins, séparés entre eux par des barrières rigoureusement fermées, les conquêtes des apôtres auraient été beaucoup plus lentes. En détruisant les frontières, Rome supprimait pour eux la première de toutes les difficultés, celle de pénétrer dans les contrées où ils voulaient prêcher leur doctrine ; en même temps elle diminuait les autres. Depuis que le monde était réuni sous un pouvoir unique, le patriotisme étroit des petits états faisait place à une sorte de fraternité universelle ; les divers cultes, qui étaient autrefois l’expression la plus complète, la plus vivante des diverses nationalités, portés d’un pays à l’autre, par les perpétuelles émigrations des peuples, perdaient peu à peu leur caractère local : c’était pour eux perdre aussi leur principale force de résistance ; si ces religions étaient restées purement municipales, elles se seraient peut-être mieux défendues contre