Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/634

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’activité qu’avait déployée M. Dufaure ne se borna pas à l’organisation d’une force armée, sauvegarde indispensable à ce moment de l’ordre public ; il fut appelé à exercer une charge à laquelle le destinait l’autorité qu’il avait acquise. « Tu ne devinerais certainement pas, dit-il à son père, le 4 août, d’où je t’écris : de la mairie, où je me trouve seul, parce que mes collègues dorment, et d’où, par conséquent, je commande en ce moment à toute la ville de Bordeaux. La tante de M. Corbière assurait que la révolution n’était pas finie, puisque son neveu se trouvait au ministère. Tu croiras sans doute qu’il s’en est opéré une grande, puisque je me trouve ici. Quoi qu’il en soit, il faut que, dans un moment aussi critique, chacun apporte le tribut de ses efforts. On m’a demandé les miens ici. J’ai laissé le fusil pour y venir. Nous avons formé une commission municipale de douze membres qui administre la ville. Nous avons hâte que le préfet et le maire définitifs soient nommés. »

Le calme rentrait peu à peu dans les esprits, et la cité que les légitimistes avaient baptisée de ville du 12 mars, acceptait franchement la révolution et la royauté qui en était sortie. « Le gouvernement nouveau, écrit-il, le 6 août, inspire une confiance presque générale. Nous le reconnaissons surtout aux changements qui s’opèrent dans les déterminations de nos royalistes ; avant-hier, ils nous envoyaient tous leurs démissions ; aujourd’hui, ils s’empressent tous de les retirer. Ils voulaient tuer le gouvernement en interrompant les services publics : ils sont tous maintenant d’un dévoûment sans bornes. »

Le « pouvoir extraordinaire et dictatorial, » dont il avait hâte d’être délivré, fut bientôt remis entre les mains du préfet, et M. Dufaure, en allant jouir du repos à Vizelles, put emporter les témoignages de la reconnaissance publique.

La commission municipale, qui avait gouverné pendant dix-huit jours la ville de Bordeaux, au milieu des circonstances les plus difficiles, n’avait pas commis un seul acte arbitraire. Aussi le préfet ratifiait-il la désignation de ses concitoyens en le mettant au premier rang du conseil municipal. Il eut à résister à plus d’un assaut en cette heure de nominations hâtives. Un avocat qui eût été moins attaché à sa robe eût accepté l’une des fonctions que la révolution rendait vacantes. Il les refusa toutes. On répétait qu’il allait être nommé préfet, procureur-général, maire de Bordeaux. Les vainqueurs acclamaient son nom, et plus d’un vaincu de la veille colportait malicieusement ces bruits ; il fut inébranlable, estimant que des fonctions acceptées au lendemain d’une révolution mettent en doute la sincérité des convictions et le dévoûment aux principes, qui n’est pur que s’il est désintéressé. Ce noble attachement