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jeune avocat a bien de la mémoire. » La seconde fois, il dit : « Il a bien du talent. » M. Dufaure père parla de la défense des journalistes de Bordeaux et ne lui cacha pas la crainte qu’il avait eue que son fils ne parvînt pas à les faire acquitter, puisque, dans un beau plaidoyer, Me Mérilhou avait échoué quelques jours auparavant. Le procureur du roi répondit vivement qu’il y avait une distance immense entre Dufaure et Mérilhou : « Votre fils, dit-il, serait le premier avocat de Paris comme il l’est du barreau de Bordeaux. Je désirais quelques jours de prison pour les journalistes. Ils méritaient cette légère punition. Les juges étaient d’avis de la leur infliger, mais votre fils enleva tous les suffrages. Il fut superbe, et les journalistes furent acquittés. Il ira loin, ajouta-t-il ; il peut faire une belle fortune, et lorsqu’il aura atteint l’âge prescrit, il faudra qu’il paie 1,000 francs de contributions, car il sera député. Il sera encore plus beau à la tribune qu’au barreau, tant il a de facilité pour l’improvisation. Nous avons eu quelques discussions ensemble lorsque je portais la parole, mais jamais je n’ai cessé de l’estimer. À Bordeaux plus que partout ailleurs, il règne une intimité parfaite entre les magistrats et les avocats qui joignent à du talent une conduite irréprochable, et, sous l’un et l’autre rapport, votre fils ne laisse rien à désirer. »

À ce témoignage que peut-on ajouter ? Nous savons désormais à n’en pas douter qu’à vingt-huit ans M. Dufaure était en pleine possession de son talent. Ses occupations de plus en plus nombreuses ne pouvaient plus le détourner des affaires publiques. Il les suivait avec anxiété et s’apprêtait à la lutte contre le ministère Villèle. Condamné, ainsi que tous ceux de son âge, à ne pas prendre part aux opérations électorales, il s’ingénia comme eux pour trouver un emploi de son activité.

Tandis qu’à Paris les jeunes gens multipliaient les brochures, les répandaient par milliers, formaient des associations, M. Dufaure profita des relations que le procès de l’Indicateur avait resserrées pour publier quelques articles. Fonfrède obtint que des initiales transparentes permissent à certains jours d’en reconnaître l’auteur. À Vizelles, ce ne fut pas sans surprise qu’on lut sous cette forme nouvelle la manifestation de sentimens qu’on partageait. N’écoutait-il pas trop son zèle ? Ne devait-il pas se réserver pour les luttes de la barre ? Quelles que fussent les qualités de clarté et de force déployées dans les deux articles, était-il bon de déserter l’audience pour la plume ? Un avocat ne devait-il pas conserver un peu de la dignité de la magistrature ? Les objections étaient faites avec autant d’hésitation que d’indulgence. La réponse fut à la fois forte et respectueuse. Il n’avait garde de désavouer les deux articles signés : il