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maître de sa parole et de son talent ; il était heureux de ses succès, mais il redoutait presque qu’ils le missent trop tôt au premier rang. L’étudiant en droit, dont nous avons vu naguère les ardeurs impatientes, s’était mûri au feu des débats judiciaires : son ferme bon sens l’avait rendu modeste sans refroidir ses efforts et sans, rabaisser son but. Il écrivait à son père, en annonçant la nomination prochaine de M. de Saget dans la magistrature et la retraite de quelques avocats en renom : « Leur disparition soudaine sera un grand malheur ; nous serons accablés d’affaires avant de les avoir méritées. » Liberté d’esprit bien rare chez un avocat de vingt-six ans qui sait ajourner le succès pour ile rendre plus solide ! Tel était à ce moment, décisif de sa vie son désir non de réussir, mais de s’élever, qu’il avait déterminé ses jeunes confrères à former une conférence. Il craignait que le flot des affaires criminelles et correctionnelles ne le détournât des discussions de droit civil. On se réunissait autour de M. Roullet, jurisconsulte distingué, alors bâtonnier, et qui devait, peu d’années après, être porté par la voix publique à la première présidence ; le nombre des membres ne dépassait pas huit. Les études y étaient approfondies. Plus tard, lorsque l’âge des conférences sembla passé, la coutume de se réunir était prise ; elle avait créé des liens que nul ne voulut rompre, et la littérature vint transformer en un repos, pour l’esprit ce qui avait été au début un exercice laborieux et fécond.

Sa clientèle augmentait d’ailleurs si rapidement qu’il avait pu devenir propriétaire de Vizelles et alléger ainsi les charges de ses parens, qui continuaient à y résider. Ses épargnes n’étaient plus toutes transformées en livres, et plus d’une fois, au cours de ses vacances, s’éprenant d’un bois ou d’un clos de vigne, il avait grevé l’avenir en arrondissant d’une nouvelle parcelle la terre qui devait lui représenter à la fois l’héritage paternel et le produit de ses veilles.


VII.

Ainsi s’écoulait sa vie de 1824 à 1827. Ce qui eût été pour tout autre le terme des vœux et un but définitivement atteint n’était pour cette intelligence intérieurement si active qu’une nouvelle préparation. Il n’est pas un mot dans la correspondance qui prouve que M. Dufaure ait compté dès cette époque sur la vie publique, mais tout nous démontre qu’il l’avait plus d’une fois entrevue dans les rêves d’avenir dont il avait contracté l’habitude.

À son gré, c’était le plus noble emploi des facultés humaines, et son enthousiasme pour les orateurs politiques, demeuré aussi vif au milieu du fracas des affaires bordelaises qu’aux premiers jours