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ou de la république, qui leur donnait une espèce de liberté. » Il se désolait que le ministère ne troublât pas seulement la situation présente, qu’il corrompît l’avenir. « Il surexcite nos intérêts, écarte nos idées et gouverne avec les passions. » Il voyait avec douleur la monarchie s’éloigner de plus en plus du pays et le système de M. de Villèle inspiré par l’esprit de délire lui faisait entrevoir une nouvelle révolution. « Tout marche, écrivait-il, à la chute de la royauté » Il n’y a plus que le jour qui soit incertain. » Les élections de 1824 donnèrent un instant d’espérance ; mais on s’aperçut bien vite que le ministère était prêt à tout pour altérer l’opinion publique. « Il n’est pas de moyens qu’on n’invente, disait-il, pour lasser, pour rebuter les électeurs, pour rendre leurs certificats irréguliers, pour se ménager les moyens de repousser leurs réclamations. Il n’est pas de puérilités qu’on ne commette pour diminuer le taux de leurs contributions et rendre leurs droits contestables. Ainsi cette chambre dont la mission proclamée d’avance est de violer la charte et de consommer la ruine du gouvernement constitutionnel ne sera obtenue qu’à force de ruses, de fraudes et de petitesses. » Plus l’heure de la réunion des collèges électoraux s’approchait, et plus il devenait évident que le mouvement libéral était restreint aux villes. Dans les arrondissemens l’inertie était déplorable : M. Dufaure adressait à Vizelles les lettres les plus vives, mais il apprenait que l’indifférence des électeurs résistait aux efforts de son père comme aux siens. Lorsqu’il se produisait un commencement de réveil, la violence ou la fraude en avait promptement raison. À Bordeaux, écrivait-il, « toutes les manœuvres sont en usage, les fonctionnaires se couvrent de honte. Un percepteur hors les murs reçoit une carte pour le collège intra muros, avec l’ordre de voter. Il obéit à son supérieur. M. Desgranges-Bonnet, l’avocat-général, qui n’a pas d’autre fortune que les émolumens de sa place, a reçu une carte, il l’a renvoyée, en répondant que sans doute on s’était trompé. Comme l’administration a été effrayée des voix qu’avaient eues les libéraux le premier jour, elle a fait tous ses efforts pour le second, et une nouvelle carte a été envoyée à M. Desgranges avec ordre de venir voter. Il a répondu que les fonctions qu’il tenait de la volonté royale lui imposaient l’obligation de recommander et de réclamer sans cesse le respect dû aux lois, que c’était une infraction formelle aux lois existantes de voter sans avoir le cens que la charte exige ; qu’il n’oublierait pas ses devoirs au point de violer lui-même les lois qu’il a mission de faire observer. On prétend qu’il est menacé de destitution pour prix de sa résistance. »

Ces émotions ne l’éloignaient pas du barreau. Il recueillait les fruits de son travail et sentait qu’il devenait de plus en plus