Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/613

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec soin les procédés d’éloquence des nouveaux orateurs, admire Manuel, et note qu’il « rappelle tout pour réfuter tout. » Après avoir recherché si son éloquence n’aurait pas de grands rapports avec celle de Barnave, il se reporte aux débats du parlement britannique qu’il étudie dans le passé et qu’il suit dans le présent, les compare à ceux de l’assemblée constituante, et s’étonne qu’on place les discussions anglaises au-dessus des nôtres. Il voit en Angleterre une habitude des affaires publiques qui nous fait défaut, mais il admire l’élévation plus grande des discours en France « où il a tout fallu créer, où tout était nouveau. » À la chaleur du style, à l’entraînement de la pensée, on devine la place toute nouvelle que tenaient ces lectures dans la vie de l’étudiant. Il s’aperçoit lui-même qu’il s’est laissé emporter : « Cette digression, écrit-il à son père, te prouve que les idées politiques commencent à circuler parmi nous. » (13 mars 1819.)

Il retourne bien encore à la littérature, qui demeure la principale distraction de son esprit. À certains jours il se rend au Théâtre-Français. Ce sont ses plus coûteuses soirées. Il a vu Nicomède et les Fourberies de Scapin. La mâle énergie de Corneille et la verve comique de Molière l’ont enchanté. « Malgré ce spectacle, je ne fais pas de folles dépenses. Je sais que tu te prives pour moi. Je ne crois pas les bons spectacles inutiles et je crois ce plaisir le meilleur de Paris. En fait d’art oratoire, ce sont de bons maîtres que Corneille et Racine. Les beautés y vivent. Elles ne sont pas refroidies par la lecture. Elles sont secondées par le feu du spectateur. Aussi ce n’est pas perdre mon temps. »

Il n’avait garde de demeurer oisif. M. Villemain venait de publier son Cromwell et pour être en mesure de l’apprécier, notre étudiant s’était hâté de lire l’Histoire d’Angleterre de Hume. Dans son impatience de connaître l’ouvrage du professeur dont il était épris, il était parvenu à louer le nouveau volume pour quelques heures. La dédicace à M. de Lally-Tollendal, en réveillant ses souvenirs des origines de la révolution et en lui montrant un hommage du talent à la vertu, l’avait charmé ; mais sur l’ouvrage lui-même il conserve toute sa liberté d’esprit et annonce à son père qu’il veut réfuter quelques-uns des jugemens, que le style est admirable, mais qu’il « n’y a pas assez de vues politiques sur une révolution si singulière qui en permettait de si profondes. »

Ainsi ses enthousiasmes ne l’aveuglent jamais ; son esprit demeure libre et aussi ouvert à l’admiration que prêt à la critique. Malgré tant de productions, la littérature est abandonnée pour la politique. M. Villemain s’en plaint. C’est l’éloquence de la tribune qui en est la vraie cause, écrit notre étudiant en droit ; « il faut convenir