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loin cette époque, il doit nous sembler tout naturel qu’un jeune homme entrant alors dans la vie se livrât sans trouble à toutes les espérances de son âge. Le discours du roi, prononcé à l’ouverture des chambres, au lendemain de ces élections qui avaient alarmé les ultras et satisfait les libéraux, eut pour effet de transporter notre étudiant. Irrité des menaces de la droite, il vit dans ce langage loyal, l’expression véritable d’une bienveillance et d’un espoir qu’il sentait dans son cœur. C’était, en effet, un beau spectacle que celui de ce vieux roi qui proclamait les mérites de la charte, déclarait qu’en délivrant la France du despotisme, elle avait mis un terme aux révolutions et promettait que « les projets de lois s’inspireraient de son esprit afin d’assurer les droits publics des Français et de préserver toutes les libertés qui étaient chères à son peuple. « Ce langage était digne du souverain qui avait dissous la chambre introuvable. Les actes suivaient de près les paroles ; un ministère se forma contre l’ancien régime et tout inspiré du souffle de la charte : entre M. Decazes, M. de Serre et le maréchal Gouvion Saint-Cyr, il y eut une émulation d’activité sage et de politique conciliante. En peu de mois, on vit présenter la loi de recrutement et la loi de presse et pour mieux assurer le triomphe de ces projets, la chambre des pairs reçut soixante nouveaux membres dont l’éclatante adhésion amenait à la restauration tous les hommes distingués qui depuis quatre ans se tenaient à l’écart.

La jeunesse aime ce qui est grand et généreux. Des marques de confiance succédant à des tiraillemens intérieurs et la vue du drapeau français flottant seul sur toute l’étendue du territoire, c’en était assez pour provoquer chez les jeunes gens un élan d’enthousiasme qui semble avoir échappé aux historiens, trop enclins à juger un temps d’après les faits extérieurs, les discours des chambres, la mauvaise humeur ou les flagorneries des feuilles publiques. Ceux qui à distance cherchent à rendre la vie à une époque, observent et écoutent trop exclusivement les acteurs qui occupent le premier rang de la scène, les hommes mûris par l’âge ou par l’étude spéciale de la politique. Souvent l’état intime de la nation leur échappe ; les souvenirs qui devraient la leur présenter sont d’ordinaire rédigés longtemps après les événemens, aussi portent-ils moins l’empreinte des impressions premières que le reflet projeté sur l’esprit de l’écrivain par les déceptions de la vie. C’est la supériorité des correspondances sur les mémoires que la vérité y est absolue. Au printemps de 1819, notre étudiant marque une satisfaction sans mélange. Il respire plus librement. « On sent, dit-il, aux débats de nos deux chambres que nous ne sommes plus sous un gouvernement où c’était une rébellion de parler. » Il étudie