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Ce qu’il craint surtout, ce sont les bals, auxquels ses parens voudraient le voir aller. « Vous me parlez de distractions, leur écrit-il ; je ferai, je vous en préviens, le distrait, chaque fois que vous m’en parlerez. » En revanche, il aimait jouer la comédie, c’était le seul goût qui l’éloignait de l’étude. Il avait même fait une comédie en collaboration avec un de ses amis. En attendait-il quelque succès ? J’en doute, car il apprend à son père, sans marquer de chagrin, qu’elle fut accueillie froidement. Heureusement la troupe donnait le même soir le Mariage forcé. « Aidé du génie de Molière, reprend-il gaîment, j’eus plus de succès comme acteur que comme auteur. » L’échec fut tout au profit du théâtre classique. On se mit à apprendre et à jouer l’Avocat Pathelin et les Plaideurs. Il n’était pas possible de rapprocher davantage la comédie du barreau.

C’est qu’au fond, dans cette nature ardente où le feu couvait, toutes les forces s’apprêtaient pour former un tempérament de dialecticien et d’orateur. Ce n’est pas la politique qui entra la première dans son esprit, c’est l’éloquence. Lorsque en 1816, arrivé de la veille à Paris, il va visiter la salle de la chambre, c’est la place où s’assied M. Laine qu’il veut voir. En 1818, c’est Manuel qui l’émeut. Il ne pardonne pas au barreau de Paris d’avoir refusé de l’admettre pour obéir à des passions de parti. Il lit l’histoire de la révolution française ou plutôt les débats de l’assemblée constituante dans le Moniteur afin d’y retrouver les grands orateurs dont son père lui a appris à respecter les noms. Pour suivre les discussions du parlement, il apprend l’anglais ; il rêve d’aller en Angleterre se perfectionner dans l’étude de cette langue. Il ferait plus : il exercerait quelques années à Londres la profession d’avocat pour étudier leur droit public et privé. Préparé de la sorte, partagé entre Montesquieu et Tacite, les institutions anglaises et l’étude des orateurs de 1789, il faut reconnaître que le jeune étudiant était tout prêt à s’enflammer pour la politique.

On serait tenté de s’étonner sur ce sujet du silence des lettres, si quelques mots ne nous rappelaient que la prudence imposait alors aux correspondances une réserve absolue. Chez son oncle, il voyait souvent M. Dunoyer, le rédacteur en chef du Censeur, et quelques députés libéraux. Le dimanche, il allait chez un de ses camarades du collège Charlemagne dont le père, M. de Boislandry, député de Versailles aux états-généraux, un des membres laborieux de l’assemblée constituante, était demeuré fidèle à la monarchie et aux principes constitutionnels ; autour de lui se réunissaient des amis, d’anciens collègues, rares survivans échappés à la tempête, les jeunes gens écoutaient en silence ces témoins d’un autre âge qui savaient parler de leur temps sans colère et qui mettaient toutes leurs espérances dans la charte.