se destinait. Le père et le fils échangèrent quelques lettres ; l’hésitation fut courte. Il fallait des titres de noblesse et des protecteurs ; sa fierté se révoltait contre les uns et les autres : « Je veux avancer, écrivait-il, par le peu de talent que j’aurai. Je ne veux pas élever mon rang pour abaisser mon âme. »
Ainsi, à côté de l’intelligence se formait un caractère : le plus noble orgueil, le dédain des vanités vulgaires, l’amour de l’indépendance, telles étaient les sources d’où découlait sa vocation. Au milieu de l’année 1816, elle était définitive, et, pendant les années qui vont suivre, nous ne la verrons pas ébranlée un seul jour. Il avait passé les mois de l’automne 1816 à Paris, pensant constamment aux habitans de Vizelles, où les dépenses d’un coûteux voyage l’empêchaient de se rendre, tantôt faisant avec un de ses livres favoris de longues courses aux environs et cherchant des yeux quelques ceps de vigne, tantôt revenant au palais de justice, assistant aux débats de la cour d’assises, s’y plaisant, se passionnant pour l’accusé, écoutant avec un vif intérêt les luttes du barreau et se disant que ce n’était pas là un attachement passager. Il ne se consolait pas de la longueur des vacances ; il était impatient de voir s’ouvrir l’école de droit. Pour tromper son attente, il courait les étalages de livres et se formait peu à peu une petite bibliothèque. C’étaient là toutes les folies du jeune homme : s’entourer de livres qu’il aimait, en orner sa chambre, vivre en leur compagnie, s’en remplir la mémoire, puis les fermer pour laisser son esprit s’égarer dans l’avenir et pour ainsi dire s’enivrer d’espérances ; telles étaient les seules distractions du jeune Saintongeois exilé à Paris. Son imagination excitée par les lectures de la solitude lui inspira plus d’une fois des vers. Il commença une tragédie sur Alexandre. Sa correspondance renferme plus d’un fragment poétique. Par une réminiscence du XVIIIe siècle, dans la même lettre, la prose et les vers se trouvaient mêlés, suivant l’impression du moment et le besoin d’exprimer des pensées fortes ou des sentimens plus doux. Un soir, il rentrait d’une audience criminelle qui s’était prolongée plus tard que de coutume, il revenait tout absorbé dans des pensées de sympathie pour les malheureux accusés, quand il trouve une lettre de ses parens toute pleine de détails sur les occupations de leur vie et contenant quelques souvenirs sur ceux de sa famille qui, depuis trois siècles, avaient habité Vizelles. Aussitôt, il se transporte au milieu d’eux, et dans le silence d’une soirée d’automne, il évoque ces antiques habitans, s’envole bien au-delà des réminiscences paternelles et écrit le chant d’un vieux barde du désert. Dans cette innocente distraction d’un rhétoricien retenu loin du logis paternel n’est-il pas permis de voir une marque de ce temps et comme le symptôme d’un vague besoin intellectuel qui tourmentait toute une génération et qui allait