à Paris, en octobre 1815, devait laisser une impression bien autrement profonde : au drame de la révolution, dont on était si peu éloigné, avaient succédé les triomphes d’un conquérant qui, pendant quinze ans, avait semblé invincible. De tous les points du monde, les regards étaient dirigés sur Paris. Cette ville, qui avait été tour à tour un lieu d’horreur et un objet d’admiration, avait été deux fois envahie par les années de l’Europe, et il était donné au voyageur de contempler du même coup d’œil les monumens qui avaient été témoins de tant de scènes navrantes ou glorieuses, et les feux de bivouac de l’étranger campant sur nos places publiques. C’étaient là de fortes leçons d’histoire qui devaient creuser dans la mémoire d’un jeune homme des traces profondes. Celui qui arrivait alors de Saintonge tenait de son père le respect de la révolution de 1789 et l’horreur pour les crimes de 1793 ; l’empire avait été accepté dans sa famille comme le dénoûment d’un grand drame, mais la conscription, rendue chaque jour plus pesante, avait peu à peu désenchanté la France à l’heure où, à Vendôme, notre écolier commençait à regarder au-delà des murs du collège. Il avait vu ses maîtres et ses camarades acclamer comme une délivrance le retour des Bourbons, avait retrouvé à Vizelles l’écho des sentimens qui faisaient des populations du littoral, ruinées par la guerre maritime, les adversaires les plus résolus de l’empire ; il avait suivi les émotions des Cent jours avec une curiosité inquiète et revu avec joie une seconde restauration qui, en assurant la paix de l’Europe, avait à ses yeux le mérite particulier de porter au sommet des honneurs deux avocats de Bordeaux dont son père lui avait souvent répété les noms, MM. Lainé et Ravez.
D’ailleurs la politique tenait alors fort peu de place dans l’esprit de notre collégien. Comme la plupart des jeunes gens de son temps, la littérature l’attirait bien davantage. Aussi quelle surprise et quelle joie dès qu’il s’assoit au lycée Charlemagne sur les bancs de la rhétorique ! « Nous avons pour professeur, écrit-il à son père, un M. Villemain. C’est un grand jeune homme de cinq pieds cinq pouces qui n’est pas joli, mais dont les yeux sont bien éloquens. Il explique ; Virgile, tu ne saurais croire comment ! Dès sa première leçon, il est impossible de ne pas le prendre pour ce qu’il est. » Quelques jours après, il parle des conseils de goût, non moins remarquables que la classe : « M. Villemain ne hait rien tant que ces devoirs composés d’un tas de pensées qui se trouvent partout. Il veut dans nos amplifications des pensées neuves, des mouvemens hardis ; même il dit qu’un peu d’emphase ne serait pas de trop pour des commençans. Il m’a plusieurs fois corrigé mes devoirs ; il m’a toujours dit qu’il y avait dedans un certain mérite, mais que j’aurais grand besoin de lire Massillon, La Bruyère et Télémaque. Ainsi, tu