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première bourdonnemens du travail chez un peuple rendu à la liberté ; il a voué son attachement à ce régime qui faisait de l’éloquence au service de la raison la plus grande force de l’état. Ainsi, comme ceux qui appartenaient à cette forte race, mais avec une maturité plus austère, il avait acquis dès l’âge de vingt ans cet ensemble de fortes convictions qu’il devait porter avec lui jusqu’au déclin du siècle. Il n’est pas inutile de raconter avec quelques détails une telle jeunesse, il est nécessaire d’observer par un saisissant exemple comment se forment un caractère et des convictions : c’est un secret dont tous les temps ont besoin et qui de nos jours risque de se perdre.


I.

Lorsqu’en s’éloignant de Saintes, on se dirige vers le sud-ouest, l’aspect du pays ne tarde pas à se modifier. Tandis qu’aux environs de la ville et à quelques heures de distance, les bois et la culture rappellent les campagnes du Poitou, que, sur certains points, les champs entourés de vieux arbres et de larges haies donnent à l’ensemble du pays l’apparence du Bocage, lorsqu’on s’avance vers Royan, les collines s’abaissent, les arbres deviennent plus rares et la terre plus sablonneuse ; ce changement frappe surtout les regards le long de la Seudre, qui coule parallèlement à la Gironde. Sur la droite de cette rivière, la végétation active du nord ; sur la rive gauche, une terre plus desséchée, un horizon lointain et transparent, la vue de longues lignes de dunes qui laissent deviner la mer. C’est entre ces deux natures de sol, sur la lisière des derniers bois, avant les grandes plaines d’alluvion qui ont été formées par la mer et la Gironde, dans un pli de terrain, qu’est située une habitation de fort simple apparence que rien ne distinguerait si, à l’entrée d’une cour, un respectable colombier ne se dressait pour témoigner de l’ancienneté du lieu et si des ormeaux non moins âgés ne venaient attester que, depuis longtemps, les propriétaires de Vizelles avaient tenu à honneur d’embellir leur modeste demeure. La maison ne contient pas de souvenirs anciens, mais la vigne date de loin ; c’est elle qui a fait l’importance de la propriété, et comme, par un destin bien rare en notre pays, depuis près de quatre siècles, la maison et la terre n’ont pas été vendues, que l’une et l’autre ont été transmises par héritage ou par mariage, il est tout naturel que le dernier possesseur, en augmentant avec un soin jaloux l’étendue de son domaine, portât à cette propriété un peu de la passion filiale qu’il avait vouée à ses parens.

Jusqu’en 1734, aucun lien ne rattachait les Dufaure à la Saintonge. Une tradition de famille leur donnait pour origine le Dauphiné. On