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donc bien, quoi qu’on en dise, la clé de voûte non-seulement du budget de 1883, mais des budgets futurs. Si on la repousse, en supposant même qu’on trouve quelque expédient pour doter le budget de 1883, les embarras reparaîtront beaucoup plus considérables dans le budget de 1884. Un plan de finances doit embrasser plusieurs années. L’expérience a démontré qu’on ne peut, sans compromettre les finances du pays, persévérer dans le ruineux système qu’on a adopté depuis trois ou quatre ans pour les travaux publics.


IV.

A côté des grandes questions que nous venons de traiter, les détails du budget de 1883 n’ont qu’un intérêt secondaire. Que presque tous les chapitres soient en augmentation considérable, c’est un lamentable spectacle, selon nous; que toutes nos plus-values d’impôts aillent s’engloutir dans ce gouffre des crédits supplémentaires votés sur l’initiative du premier député venu, on ne saurait trop profondément le regretter, ni protester avec trop d’énergie contre des abus qui dépassent tous ceux que l’histoire financière a jusqu’ici constatés. Il y a chez les membres de la chambre une sorte d’infatuation irréfléchie, une contagion de prodigalité, qui les poussent à considérer comme une bonne œuvre, comme un titre méritoire, toute nouvelle augmentation des dépenses publiques. Il semble que chacun de nos 535 députés se pose en se réveillant cette question : « Comment pourrai-je grossir le budget? » On commence à voir les fruits de ce désastreux système. Le seul frein, ce serait que la constitution ou un sévère règlement intérieur interdît absolument aux membres du parlement de prendre l’initiative d’une dépense quelconque. Il en est ainsi en Angleterre, et chacun y gagne : le gouvernement en dignité, le pays en bonne gestion, et les députés eux-mêmes en repos d’esprit. On n’ose pas, paraît-il, proposer à notre parlement cette restitution au pouvoir exécutif des droits que celui-ci doit être seul à posséder. D’une manière indirecte, M. Léon Say espère diminuer, si ce n’est supprimer ces abus. Ce sont les plus-values de recettes, ou plutôt c’est la partie purement apparente et fictive des plus-values de recettes, qui entrelient chez nos députés cet entrain à la dépense» Ils lisent dans les relevés statistiques du ministère des finances que tel exercice, par exemple celui de 1881, offre une plus-value de 220 millions de francs ; aussitôt chacun d’eux sent une sorte de fumée d’ivresse lui monter au cerveau, et se met à la besogne pour dépecer cette énorme aubaine de 229 millions. L’un prend parti pour les douaniers, l’autre pour les facteurs, celui-ci pour les écoles, celui-là pour les chemins, un autre pour les musées, chacun a ses