Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II

Il faut s’arracher à cette histoire intéressante des premières années de l’église pour suivre M. Renan dans d’autres récits. La religion nouvelle semblait réunir en elle des instincts contraires : elle vivait dans l’attente du dernier jour, ce qui aurait dû paralyser son activité et la renfermer étroitement en elle-même ; mais en même temps elle travaillait à s’étendre. Elle trouvait un charme infini à ces réunions fraternelles, à cette vie cachée qui réalisait les enseignemens de Jésus, et elle ressentait d’étranges ardeurs de conquête. Les Juifs avaient déjà surpris les Romains et les Grecs par une passion de prosélytisme que les autres religions ne connaissaient pas ; dans cette voie, le christianisme devait aller beaucoup plus loin et marcher plus vite que son devancier. On peut dire que presque au lendemain de la mort du Christ, il se met en route pour conquérir le monde.

Cette conquête, qui est un des plus grands événemens du passé, est aussi l’un des moins connus. Ce que nous en savons le mieux, c’est la façon dont elle a commencé, et, contrairement à ce qui arrive d’ordinaire, la partie la plus ancienne de cette histoire est pour nous la mieux éclairée. Les Actes des Apôtres et les épîtres de saint Paul, qui nous entretiennent de ces premières années, ne nous donnent pas sans doute assez de détails pour contenter, tout à fait notre curiosité, mais permettent du moins de construire un récit qui repose sur des bases solides. Le volume que, dans son Histoire, M. Renan consacre à saint Paul est l’un de ceux qui ont le mieux réussi auprès du public. Personne n’a oublié avec quel intérêt il raconte les voyages de l’apôtre et le relief qu’il donne à sa figure. Saint Paul pourtant ne lui plaît qu’à moitié et il a besoin de faire un effort pour l’admirer. C’était un théologien, un raisonneur, un discuteur, le premier de ceux qui travaillèrent à créer des formules et des dogmes pour la religion naissante. Or nous venons de voir que M. Renan attache moins d’importance aux doctrines théologiques de l’église qu’à ses institutions charitables et à ses réformes sociales. C’est là seulement qu’il place son originalité et sa grandeur. « Prophètes, parleurs de langues, docteurs, vous passerez ; diacres, veuves dévouées, administrateurs des biens de l’église, vous resterez : vous fondez pour l’éternité. » Saint Paul est trop absolu, trop systématique pour être tout à fait du goût de M. Renan. Il aime mieux des croyances moins rigoureuses, des opinions plus flottantes, qui tracent au fidèle un cercle très étendu dans lequel il se meut à l’aise et lui permettent de joindre une grande liberté de pensée à une certaine