il ne paraissait guère, sauf les jours d’élection; la maladie lui en interdit l’accès presque depuis la séance où il fut reçu : il y prit très rarement la parole et seulement quand il était mis en demeure de donner son avis sur une définition ou une étymologie dans l’œuvre perpétuelle du Dictionnaire d’usage que la compagnie poursuit sans relâche et qu’elle recommence quand l’ouvrage est achevé pour le tenir au courant des révolutions de la langue. Mais s’il était absent de nos séances, son témoignage était là, et le Dictionnaire historique, en permanence sur la table, à chaque instant consulté, remplaçait jusqu’à un certain point le célèbre savant. C’était sa voix écrite, recueillie avec le plus grand soin dans tous les cas douteux, écoutée avec déférence, et, quoique absent, il gardait ainsi une juste et grande part dans toutes les délibérations qui touchaient à ce vaste domaine de la langue, marqué de ses conquêtes et de son nom.
Organisateur plutôt qu’inventeur, tel fut M. Littré. Lui-même semble se juger ainsi dans l’épilogue d’un de ses derniers livres : « Il y avait en moi des élémens capables de se faire jour et d’attirer l’attention; mais ils ont été tardifs, parce que la faculté de les mettre en mouvement a manqué. Mon esprit n’était pas de ceux qui s’éclairent soudainement devant l’imprévu des circonstances ; personne n’était plus désarmé que moi devant les difficultés subites, si le temps ne m’était pas donné de les étudier et de m’y préparer. De cette façon, mon apprentissage a été long, mais il a été nécessaire, et je serais ingrat si aujourd’hui je m’en plaignais comme d’un temps perdu[1]. » Il était dans le monde intellectuel le même que dans la vie pratique; il n’avait pas l’initiative des idées, mais quand elles s’étaient produites devant lui, même à l’état d’ébauche et sous une forme incomplète, nul ne les saisissait d’une étreinte plus forte et ne s’y attachait avec plus de suite jusqu’au moment où il s’apercevait que cette idée n’était peut-être qu’un aspect incomplet de la vérité. Alors un nouveau travail se faisait en lui. Il essayait, avec son admirable bonne foi, de se prémunir contre ses propres habitudes intellectuelles et ce qu’il appelle « ses insuffisances de toute nature. » Il opérait cette critique de lui-même « à l’aide de tâtonnemens qui se cherchaient et se rectifiaient l’un l’autre. « Il sentait profondément le défaut général de son esprit, qui consistait « à ne rien savoir par intuition et pour ainsi
- ↑ Conservation, Révolution, Positivisme, 2e édition, p. 472.