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moderne; il reprend à grands traits sa thèse favorite sur le progrès, qui, sous certaines formes particulières, ne s’est pas ralenti même pendant cette période du moyen âge, injustement dépréciée et méconnue par l’école révolutionnaire; il loue les vieux idiomes des XIIe et XIIIe siècles et va jusqu’à déclarer que la langue d’Amyot et de Montaigne vaut mieux que celle des âges suivans ; enfin, il définit à merveille le XVIIIe siècle, étudié avec tant de goût par M. Villemain ; il établit avec une précision vigoureuse le principe des littératures comparées. Nulle part comme ici, par une coquetterie fort légitime pour l’Académie, il ne s’est soucié d’être écrivain; il l’a été pleinement cette fois, comme il l’a été dans plusieurs morceaux de son livre sur les Barbares et le Moyen Age et dans quelques pages philosophiques.

L’était-il de nature et de race? Certes, il avait des parties de l’écrivain; il avait l’instinct de la force et de la justesse; il trouvait facilement des images heureuses et neuves; il avait le souci du mieux ; il se tourmentait vers la perfection. Mais ce souci et ce tourment se marquent trop dans ce qu’il écrit. Il y a dans sa manière une probité manifeste et un peu de gaucherie. La probité veut dire les choses exactement telles qu’elles sont et telles qu’il les pense; la gaucherie consiste à vouloir trop dire et tout dire. Alors surviennent les mille incidens au milieu desquels flotte la pensée, les circonlocutions qui noient le dessin principal de la phrase, les parenthèses et tout l’accessoire ; c’est le produit naturel des corrections perpétuelles, des repentirs grammaticaux ou psychologiques, des reprises qui allongent la phrase et l’enflent démesurément. M. Littré devenait obscur à force de vouloir être complet. La clarté du style ne s’obtient qu’à la condition de sacrifices continuels, que M. Littré ne sut jamais faire complètement. On regrette aussi l’intervention inattendue de mots techniques qui détonnent au milieu du langage littéraire. Le sentiment de la juste proportion, de la mesure, de l’art, en un mot, lui manque : bien qu’il ait écrit un assez grand nombre de belles pages, il n’est pas artiste. Il le sentait lui-même : « Quand je compose, disait-il, dans les bons momens, je suis content de ce que trace ma plume ; puis vient ce qui est pour moi le quart d’heure de Rabelais, relire, corriger, mettre les épreuves en bon à tirer. En cette seconde phase, mon enchantement a disparu, et je me méfie de tout. »

C’est alors qu’il lui arrivait de gâter tout en voulant mieux faire. Il y a des écrivains pour qui le second moment est celui du perfectionnement définitif, tel du moins que le comporte la nature de leur esprit. Il en est d’autres qui, à l’heure de la révision, cèdent à la tentation fatale des surcharges et des corrections indéfinies. On