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dans l’ombre de la maison de la rue d’Assas cette vieillesse toujours avide de savoir. « Mon travail, disait-il en 1874, a été récompensé plus que je n’y avais jamais compté. J’ai demandé peu à la société; en revanche, elle m’a accordé au-delà de mes espérances ou de mes ambitions. Je rends ce témoignage au moment où, parvenu à la grande vieillesse, je ne sollicite ni ne poursuis plus rien[1]. » Il tirait un juste orgueil de ce que tous ses succès avaient été des succès électifs. L’Académie des inscriptions, depuis plus de quarante années, l’avait élu, jeune encore. Le Journal des savans l’avait nommé un de ses collaborateurs. L’Académie de médecine lui avait accordé un de ces sièges dont elle dispose pour ceux qui n’ont pas le grade de docteur. L’Académie française, comme par un regret de l’avoir repoussé en 1863 après un débat fameux, avait saisi l’occasion de l’achèvement du Dictionnaire pour en récompenser l’auteur. Enfin, après avoir été quelque temps député, devenu sénateur inamovible, il avait épuisé toute la série des honneurs qu’un homme de science peut réunir sur sa tête, sans avoir jamais aliéné sa liberté ni à un pouvoir ni à une influence. C’était sa satisfaction intime. Il avait résolu, à un certain moment, « d’arranger sa vie, c’est-à-dire de ne laisser aucune prise, en renfermant étroitement ses ambitions dans ce qui est accordé soit par l’élection, soit par la faveur publique. » — Il y avait réussi, et, de cette façon, il s’était soustrait aux mauvais vouloirs que suscitaient ses opinions philosophiques et qui auraient été un obstacle insurmontable dans certaines carrières. Resté ferme dans une attitude d’opposition absolue pendant tout le temps du second empire, il avait pu constater qu’en dehors de ces carrières les intentions de nuire, dans l’ordre philosophique et littéraire, demeurent, étant donné notre milieu social, sans aucune efficacité. « On a lancé contre moi des polémiques qui devaient me confondre ou, si j’étais trop endurci, écarter d’une tête maudite la foule et l’opinion. Qu’est-il arrivé? Mes amis connus et inconnus, en France et hors de France, ont tenu à mépris ces déclamations ou, dans leur dédain, n’en ont même pas pris connaissance... Puisque, en réalité, on ne s’atteint pas, séparé qu’on est par la violence et l’exagération, ne vaudrait-il pas mieux renoncer aux polémiques insultantes et mensongères[2]? » Souvent discuté avec violence, injurié même, il se consolait, ou plutôt se rendait invulnérable aux attaques par des réflexions du genre de celles-ci : « Les lecteurs des journaux républicains ne lisent point les journaux monarchiques et cléricaux, et réciproquement. La barrière ne se franchit ni d’un côté ni de l’autre ;

  1. Littérature et Histoire, préface, p. 3 et suiv.
  2. Ibid., p. 7.