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comme on l’a dit, qu’on ne se précipitait en si grande foule vers le christianisme que parce qu’on y trouvait ce qui n’existait alors nulle part ? C’est une question très discutée, sur laquelle M. Renan a dit à plusieurs reprises toute sa pensée. Il a fait voir que, dans le christianisme, comme dans tous les grands mouvemens religieux, les œuvres sont plus originales que les principes. Il y avait longtemps, quand il a paru, que les sages proclamaient la plupart des vérités dont on lui fait honneur. Il n’est plus nécessaire aujourd’hui de montrer qu’on trouve chez les philosophes anciens l’unité de Dieu, l’immortalité de l’âme, la fraternité humaine, etc., et l’on peut se donner aisément le plaisir d’aller chercher dans les livres juifs la plupart des préceptes qu’on admire dans les Évangiles. Mais si le christianisme n’est pas le premier qui ait exprimé ces beaux préceptes ou énoncé ces grands principes, sa gloire en est-elle beaucoup diminuée ? M. Renan ne le croit pas. « En religion et en morale, dit-il, l’invention n’est rien ; les maximes du Sermon sur la montagne sont vieilles comme le monde ; personne n’en a la propriété littéraire. L’essentiel est de réaliser ces maximes, de les donner pour bases à une société. » Les principes des philosophes grecs étaient restés dans leurs livres ; tout au plus réglaient-ils la conduite de quelques personnes distinguées. Une révolution religieuse pouvait seule les faire entrer dans le grand courant du monde. Comme ils étaient en général opposés aux idées de la foule, contraires à ses traditions, à ses préjugés, ils ne pouvaient devenir le fond des croyances humaines et la règle de la vie qu’à la suite d’un de ces mouvemens qui agitent les sociétés dans leurs profondeurs, qui arrachent l’homme de toutes les classes à ses habitudes, à ses intérêts, à ses souvenirs, à ses passions, et le jettent hardiment dans des voies nouvelles. Pour ce qui concerne les Juifs, il me semble que M. Renan nous fournit un moyen aisé de répondre aux exagérations de ceux qui voudraient leur attribuer tout ce qu’il y a de bon dans le christianisme. En quelques traits qui ne s’effacent pas de la mémoire, il a décrit la situation de ce pauvre peuple après la ruine de Jérusalem. Il nous fait voir « cet Israël décrépit, » affolé de superstitions, abaissant et éteignant de plus en plus son esprit dans les minuties d’un ritualisme étroit, n’ayant pour toute distraction qu’une littérature de cas de conscience « qui roulait. principalement sur des questions de sacristie et d’abattoir. » La différence qui le sépare alors des chrétiens frappe les yeux, quand on compare les deux ouvrages dont les deux sociétés firent à ce moment leurs livres sacrés. « C’est un des phénomènes les plus extraordinaires de l’histoire, dit M. Renan, que l’apparition simultanée dans la même race du Talmud et de l’Évangile, d’un petit chef-d’œuvre d’élégance, de légèreté, de finesse morale, et