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pâle et défigurée sur la table d’amphithéâtre ou que, dans un lit d’hôpital, elle demande secours contre la douleur et le danger, peu d’enseignemens valent celui-là. J’ai touché à bien des points dans le domaine du savoir ; aucun ne m’a désintéressé de la médecine, des recherches qu’elle poursuit et de la contemplation de cette pathologie, inévitable tourment des êtres vivans, sur laquelle il est si difficile et si beau de remporter de notables victoires[1]. »

C’est à ce premier goût, qui persista à travers les études et les occupations les plus différentes, que se rapportent les nombreux travaux qui le signalèrent successivement à l’attention publique comme un des représentans distingués de cette science et lui ouvrirent plus tard les portes de l’Académie de médecine. Il prépara longuement l’édition et la traduction des œuvres d’Hippocrate, qui parurent de 1839 à 1861 et dont le premier volume excita une véritable émotion dans le monde scientifique et annonça la venue d’un vrai savant. Depuis 1832, il publie un grand nombre de travaux dont un des plus remarqués fut le Choléra oriental, en 1832 ; il édite une revue médicale, l’Expérience, de 1837 à 1846, avec M. Dezeimeris; il traduit l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien (1848), le Manuel de physiologie de Müller (1851); il procède, au point de vue positiviste, à la refonte complète du Dictionnaire de médecine et de chirurgie de Pierre Nysten (1854), en collaboration avec M. Charles Robin. Sa vraie spécialité, dans cet ordre de travaux, c’est l’érudition médicale, l’étude de la médecine historique. En ce genre, son introduction aux traités hippocratiques est une œuvre de maître. Bien que la constitution du texte laisse encore à désirer, que le commentaire et les notes n’aient pas sur tous les points une valeur définitive, qu’il y ait bien ici et là des obscurités persistantes et quelques défaillances philologiques, ce grand travail marque une date, et si on le dépasse plus tard, ce sera à condition de s’en être beaucoup servi. Dans les questions d’ordre physiologique et médical, M. Littré me parait représenter l’histoire et la critique plutôt que l’intuition, la science en tant qu’érudition, non en tant qu’invention. La plupart des faux jugemens que l’on porte sur le mérite des hommes, dans les spécialités scientifiques, tient à ce que l’on confond l’érudition et l’invention. M. Littré a su beaucoup ; il a travaillé au-delà de la capacité ordinaire des autres hommes, il a su tout ce qu’il était nécessaire de savoir pour suffire à des tâches aussi variées ; il a rempli les conditions requises pour être un excellent historien de la médecine, il a laissé en ce genre quelques parties achevées, des morceaux excellens d’exposition et de critique; mais il n’a tiré

  1. Préface au livre de M. Eugène Noël, Mémoires d’un imbécile.