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sans industrie, que la dynastie des Hérodes achevait de ruiner par ses prodigalités fastueuses, les pauvres pullulaient ; de toute part on se précipita vers la petite communauté qui promettait de soulager toutes ces misères.

Quoiqu’elle vécût comme détachée de.la terre et dans l’attente du dernier jour, la nouvelle association, ayant des pauvres à secourir, des affaires à conduire, des biens à gérer, un pied dans le siècle, était bien forcée de s’organiser de quelque manière. Elle le fit avec une remarquable habileté. M. Renan montre que jamais peut-être le christianisme n’a été plus fécond en œuvres durables, et qu’il créa du premier coup des institutions de charité qui existent encore. « Un vaste ministère de bienfaisance et de secours réciproques, où les deux sexes apportaient leurs qualités diverses et concertaient leurs efforts en vue du soulagement des misères humaines, voilà la sainte création qui sortit du travail de ces deux ou trois premières années ! » M. Renan insiste avec raison sur la part qui fut faite aux femmes dans l’œuvre commune : c’était une grande nouveauté. Leur situation était mauvaise dans la société religieuse de ce temps, et les docteurs juifs ne se montraient pas disposés à leur témoigner beaucoup de complaisance. « Le Talmud met sur le même rang, parmi les fléaux du monde, la veuve bavarde et curieuse, qui passe sa vie, en commérages chez les voisines, et la vierge qui passe son temps en prières. » La vierge et la veuve obtinrent, dès le premier jour, un rang important dans l’église, et une sorte de ministère leur fut réservé. Je renvoie aux pages éloquentes que M. Renan a consacrées, dans son second volume, à l’institution des diaconesses. Elles répondent à ceux qui, s’appuyant sur quelques rudesses de saint Paul, prétendent qu’il n’est pas vrai, comme on l’a tant de fois répété, que le christianisme ait servi la cause de la liberté des femmes et qu’il les ait aidées à prendre, dans la société, une meilleure place[1].

Ces institutions étaient-elles tout à fait nouvelles, et faut-il croire,

  1. Voyez les Apôtres, p. 121 et suiv. — Je voudrais surtout pouvoir citer cette page curieuse où M. Renan montre comment le christianisme, par l’intervention du prêtre auprès de la femme, a corrigé ce qu’avait de trop dur le mariage antique « livrant l’épouse à l’époux, sans restriction, sans contrepoids ; » comment il l’a empêché de devenir « quelque chose d’analogue à la famille anglaise, un cercle étroit, fermé, étouffant, un égoïsme à plusieurs aussi desséchant pour l’âme que l’égoïsme à un seul ; » comment enfin en établissant la vie commune à côté de la famille, il a répondu à un besoin du cœur qu’on n’avait pas encore satisfait. « Il y a des âmes qui trouvent plus doux de s’aimer à cinq cents que de s’aimer à cinq ou six, pour lesquelles la famille dans ses conditions ordinaires paraîtrait insuffisante, triste, ennuyeuse. Pourquoi étendre à tous les exigences de nos sociétés ternes et médiocres ? La famille temporelle ne suffit pas à l’homme ; il lui faut des frères et des sœurs en dehors de la chair. »