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la mort de Jésus, pleins encore de son souvenir, pénétrés de son esprit, fondèrent la première église. Il n’y a rien de plus charmant que le tableau qu’il trace de la vie qu’on menait dans la communauté naissante : c’est la fraîcheur et la poésie de la jeunesse. « Tous vivaient en commun, n’ayant qu’un cœur et qu’une âme. Personne ne possédait rien qui lui fût propre. En se faisant disciple de Jésus, on vendait ses biens, et on faisait don du prix à la société. Les chefs de la société distribuaient ensuite le bien commun à chacun selon ses besoins. Ils habitaient un seul quartier, ils prenaient leurs repas ensemble, et continuaient d’y attacher le sens mystique que Jésus avait prescrit. De longues heures se passaient en prières. Ces prières étaient quelquefois improvisées à haute voix, plus souvent méditées en silence. Les extases étaient fréquentes, et chacun se croyait sans cesse favorisé de l’inspiration divine. La concorde était parfaite ; nulle querelle dogmatique, nulle dispute de préséance. Le souvenir tendre de Jésus effaçait toutes les discussions. »

En traçant ce tableau, dont les couleurs ont tant d’attrait, M. Renan n’a pas cherché seulement à charmer nos imaginations ; son dessein est moins frivole. Il croit que nous avons, dans cette peinture, la réalisation parfaite des enseignemens de Jésus. Voilà ce que le christianisme, à son origine, voulait et devait être ! Il a été depuis beaucoup d’autres choses ; il est successivement devenu une doctrine, une philosophie, un gouvernement. Dans le principe, c’était uniquement une réforme sociale[1]. M. Renan ne se lasse pas de le redire, il lui semble que les docteurs, les théologiens l’ont détourné de sa route, et il n’est pas éloigné de croire que la décadence a commencé pour lui le jour où saint Paul écrivit sa première épître. Il faut le prendre à sa source, pour le voir comme Jésus l’avait fait. Il s’adressait alors au cœur plus qu’à l’esprit ; il avait surtout souci des pauvres gens ; il venait consoler les malheureux, il appelait à lui les déshérités et leur offrait des ressources infinies d’assistance et de pitié ; il s’occupait de satisfaire le besoin de s’unir, de se serrer les uns contre les autres, de s’aimer, qu’on éprouve surtout dans ces grandes et froides sociétés que l’intérêt a fondées et que la force gouverne. C’est ce qui explique sa rapide fortune. Dans un pays misérable comme la Judée, sans commerce,

  1. M. Renan fait remarquer à ce propos, que le bouddhisme eut d’abord les mêmes caractères que le christianisme naissant et dut son succès aux mêmes causes : « Ce qui fit la fortune prodigieuse de cette religion, ce ne fut pas la philosophie nihiliste qui lui servait de base ; ce fut sa partie sociale. C’est en proclamant l’abolition des castes, en établissant, selon son expression, une loi de grâce pour tous, que Çakya-Mouni et ses disciples entraînèrent après eux l’Inde d’abord, puis la plus grande partie de l’Asie. Comme le christianisme, le bouddhisme fut un mouvement de pauvres.