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ministère ; il compte des hommes sérieux, expérimentés. Sa faiblesse, à lui, est d’hésiter dans ses résolutions, d’attendre pour se donner une politique, et en attendant de laisser tout passer. Il se réduit au modeste rôle de chercher à deviner la pensée d’une assemblée qui n’a que des passions et des préjugés. Entre ce ministère à la volonté incertaine et cette chambre à la majorité confuse, les rapports ne sont pas précisément jusqu’ici mauvais ou difficiles ; ils n’ont ni précision ni force ? ce sont des rapports qui dépendent d’un accident, qui ne représentent qu’une apparence de régime parlementaire. On tâche de vivre ensemble sans trop se heurter, et tout se résout dans cette situation singulière où fleurissent la médiocrité et l’esprit de parti avec leur impatience de tout désorganiser et de tout remuer, où l’on a trouvé récemment un nouveau moyen de se tirer d’embarras, de s’agiter sans rien faire, par la prise en considération de toute sorte de propositions incohérentes.

La prise en considération est devenue, depuis quelque temps, une ressource providentielle au Palais-Bourbon. Elle n’a sans doute rien d’absolument nouveau et extraordinaire ; elle est en usage dans tous les parlemens libres, elle est une marque d’égard pour les motions qui émanent de l’initiative individuelle et qui offrent un caractère sérieux. Ce qu’il y a de particulièrement nouveau et original aujourd’hui, c’est la manière dont la prise en considération est pratiquée à tout propos, sans distinction, par fantaisie ou par condescendance pour des idées qu’on n’oserait pas quelquefois combattre ouvertement ; ce qu’on se réserve de rejeter plus tard, si l’on ne peut faire autrement, on commence par l’envoyer en commission avec l’espoir de ne plus en entendre parler. C’est après tout une façon comme une autre de perdre son temps et de faire perdre son temps à une assemblée en employant l’action parlementaire à toute sorte d’œuvres inutiles qui deviendront ce qu’elles pourront. La chambre d’aujourd’hui n’est pas à cela près. Depuis qu’elle est en session, elle ne s’est pas distinguée, à la vérité, par des actes utiles, ni même par des discussions bien sérieuses ; en revanche, elle a voté, sans doute pour s’occuper ou pour se distraire, la prise en considération de tout ce qu’on lui a proposé, et ce serait réellement une histoire comique s’il n’y avait pas en tout cela de plus graves conséquences, si ce n’était pas le signe d’un dangereux désordre moral, d’un affaiblissement du régime parlementaire.

Il n’est pas une idée, si étrange soit-elle, que ces hardis législateurs ne se soient montrés disposés à saluer d’une prise en considération. Voici un député, M. Barodet, dont le nom est resté le synonyme d’une bévue parisienne, qui n’est connu que parce que Paris l’a préféré un jour à M. de Rémusat au moment même où cet homme éminent et charmant était encore tout occupé, comme ministre des affaires étrangères, de la libération du territoire. M. Barodet, l’heureux concurrent de M. de Rémusat, a donc imaginé, pour mériter ou pour compléter son