de rien, ne veut pas ganter en se mariant, détail d’une précision aussi réaliste et « moderne » que la mention des bottes de Charles Bovary, lesquelles ne faisaient pas un pli du cou-de-pied à l’orteil. On les étonnerait si on leur apprenait qu’avant cette fin d’acte du Demi-Monde, d’une simplicité si nouvelle, où l’on voit Olivier de Jalin et Hippolyte Richond sortir de scène en se disant : « As-tu faim ? allons dîner, » — ce même Valentin avait, lui aussi, terminé son premier acte en disant à l’oncle Van Buck : « Après un bon repas et une petite querelle, un tour de promenade fait grand bien ; venez aux Champs-Elysées ! » Que serait-ce donc si l’on insinuait que la comtesse, dans Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, donne de la galanterie mondaine une formule aussi spirituelle et rigoureuse, et peut-être à la fois moins solennelle et moins grossière que celle de Lebonnard dans une Visite de noces ? Que serait-ce si l’on insinuait qu’André del Sarto a autant de sérieux et de passion dramatique que Montaiglin et Claude et autres maris sublimes, et que Bettine est une figure de comédienne à marier aussi intéressante et « humaine » que la comtesse Romani ?
Ainsi ce fantaisiste, ce poète n’a ignoré ni les nouveautés de forme ni les nouveautés d’analyse de la comédie moderne. Mais, dramaturge aussi bien que poète, il est demeuré amateur, au propre sens de ce mot calomnié vainement : il n’a jamais écrit que pour l’amour de l’art ; il n’a pas connu le souci de l’intrigue « en feston, » ni du « dénoûment bien cuit ; » il a choisi « l’antique sobriété, — qui n’écrit que ce qu’elle pense, » — plutôt que « la moderne intempérance, — qui croit penser dès qu’elle écrit. » Il fut un amateur et prit le temps de vivre, au lieu de faire ce fâcheux métier de critique de la vie, ou celui-là plus fâcheux encore de montreur de fantoches ou de compilateur de documens. L’heure est bien choisie pour en glorifier sa mémoire, où des critiques lui reprochent de ne pas « savoir le théâtre » aussi bien que M. Sardou, tandis que de jeunes pédans grisés par M. Zola le traitent de « littérateur sans conscience et sans foi, » parce qu’il « saignait galamment du cœur au coin des cheminées de salon. » Que voulez-vous, messieurs ! on saigne d’où l’on peut et où l’on est : il n’est pas donné à tout le monde de saigner au coin d’une borne. Il saignait du cœur, et ne se répétait pas tout le jour qu’il était un littérateur plein de conscience et de foi. C’est peut-être pour cela que, seul des poètes dramatiques de ce temps, il n’a pas fait des « amoureux » — qui sont des personnages de théâtre, — mais des créatures qui aiment, et qui sont nos semblables ; et c’est pour cela peut-être que le théâtre de Musset durera tant qu’il se trouvera de jeunes hommes pour répéter d’une bouche sincère les simples paroles de Cœlio : « Pourquoi suis-je ainsi ? pourquoi ne saurais-je aimer cette femme comme toi, Octave, tu l’aimerais, ou comme j’en aimerais une autre ? .. »
Louis GANDERAX.