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des tableaux, des portraits si vivans, tant de vues profondes, tant de fantaisies piquantes, il témoigne d’un si puissant effort soutenu sans fatigue pendant tant d’années, il touche à de si grands problèmes, il raconte d’une manière si neuve de si graves événemens, qu’à coup sûr il ne court pas le risque d’être oublié. Nous sommes donc en présence d’un livre que l’avenir lira, sur lequel il nous jugera peut-être. Ne pensez-vous pas qu’il est bon de le relire avec soin, de l’étudier dans son ensemble, d’en apprécier l’économie générale, les développemens, les conclusions, au moment où il s’achève, et où il entre, pour ainsi dire, dans la postérité ?


I

Il y a deux positions très nettes qu’on peut prendre quand on raconte l’histoire des origines chrétiennes, et qui rendent la tâche facile : tout croire ou tout nier. Le croyant résolu est toujours à son aise, rien ne l’embarrasse ; toute explication lui suffit, ou plutôt les explications lui sont inutiles. Il passe auprès des difficultés sans les voir et lève les épaules quand on les lui montre. Il est clair que l’histoire entière du christianisme étant à ses yeux un miracle, les invraisemblances ne peuvent plus le choquer ; ce que les autres trouvent contraire à la raison humaine lui semble une manifestation nouvelle de la puissance divine : il n’éprouve donc aucun besoin de l’excuser ou de l’expliquer. De son côté, le sceptique absolu n’est pas plus gêné que le croyant déterminé. Il a lui aussi un système commode et qui suffit à tout : dans l’histoire des origines chrétiennes tout lui semble erreur ou mensonge. Les récits qu’on nous en a faits ne lui paraissent contenir aucun fond de vérité. Quand les miracles n’ont pas été inventés de toute pièce par ceux qui les rapportent, ils sont l’œuvre de charlatans habiles qui ont abusé les sots. Parmi les disciples de Jésus qui furent les premiers apôtres et les premiers historiens de la religion nouvelle, il n’y a pour lui que des trompeurs ou des dupes, et dans tout ce qu’ils nous racontent, ou ce qu’on nous raconte d’eux, il ne voit, selon son tempérament, qu’une occasion de s’indigner ou de rire.

Entre ces deux extrémités M. Renan a essayé de suivre une route moyenne. Il n’y a rien, comme on sait, de plus difficile et de plus dangereux. Le plus souvent, quand on veut tenir le milieu, on s’expose à marcher seul, et l’on met contre soi tout le monde. C’est ainsi que M. Renan a eu cette mauvaise fortune de ne contenter tout à fait ni les croyans, ni les incrédules. Ce sont les croyans qu’il a blessés les premiers. Il commence en effet par affirmer qu’il n’accepte pas le surnaturel, c’est-à-dire l’intervention directe de la divinité en vue d’un but spécial. À ce sujet, il s’exprime très