si tel caractère a toute la consistance qu’il faut, dans une comédie, où de pareille mélodie coule des lèvres des personnages. Je ne pense rien de bon, à coup sûr, du livret de la Flûte enchantée, mais je n’en pense rien : je me laisse aller sans défense au charme de La musique. Un dilettante me disait, l’autre soir, à la Comédie-Française : « J’aime Barberine comme un ballet. » Il était dans le vrai. Et le même ajoutait avec un sourire : « Que pensez-vous de Mlle Feyghine ? Elle ne me déplaît pas. Beaucoup de gens la trouvent mauvaise, parce qu’ils se demandent si ensuite elle pourra jouer Andromaque ! .. » Le tour était subtil, mais je ne jurerais pas que la remarque ne fût pas juste. Nous, critiques, après la pièce, nous devons chercher quel sera l’emploi de la débutante dans la maison, mais après la pièce seulement. Quelle manie s’empare donc de la plupart des spectateurs, au cours de la représentation, d’administrer le théâtre par la pensée ? Dans tous les coins de la salle, on trouve des sous-secrétaires d’état des beaux-arts, et ces gens-là ne peuvent s’empêcher de chicaner sur leur amusement. Rosemberg n’est pas un caractère : faut-il, pour cela, quand il dit de jolies choses, se boucher les oreilles ? Mlle Feyghine n’est pas une Mars, ni une Rachel ; mais, de grâce, est-elle une Kalékairi ? Oui, sans doute ; elle est charmante, cette jeune fille, dans ce détestable rôle. Mettons qu’elle ne soit pas capable, à présent, d’en jouer un meilleur : lui défendrez-vous de le devenir ? Elle est fort belle, originale, toute gracieuse avec son air grave, sa gaucherie et ses mouvemens vifs de jeune animal sauvage. Sa voix est bien timbrée, son accent russe peut disparaître et sa diction se débrouiller. — D’accord, mais nous pensions que tout ce travail était fait. On nous avait fait d’elle un éloge extraordinaire et nous sommes déçus… — Pour avoir été crédule, a-t-on le droit d’être injuste ? Non, non, la badauderie d’hier n’excuse pas la mauvaise humeur d’aujourd’hui.
Mlle Baretta fait Barberine. Elle joue le rôle justement selon l’esprit que j’indiquais tout à l’heure : en bonne Française, aimable femme et fine bourgeoise. M. Truffier, ce jeune comique, représente Rosemberg : le personnage, à mon avis, n’était pas de son emploi ; il le joue avec zèle et comme un homme qui l’a composé avec trop d’inquiétude : il y faudrait, si je ne me trompe, un peu plus de naïveté. M. Leloir était chargé du rôle pesant d’UIadislas : il en a « déblayé » les tirades avec assez d’art ; mais pourquoi prend-il cette philosophie picaresque au sérieux ? M. Coquelin cadet a créé d’une façon fort précise la figure de Polacoo, à peine esquissée dans le texte. Si M. Delaunay, plus jeune, eût joué le rôle de Rosemberg et M. Coquelin aîné celui d’Uladislas, si Mlle Croizette eût prêté à Barberine sa triomphante beauté, peut-être le succès eût été différent. Mais quoi ! la vieille garde a refusé de marcher cette fois, et peut-être elle a bien fait : il a donc fallu faire avancer les pupilles. Si la bataille est perdue, l’honneur est grand de