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conservé celle que Massinger avait mise dans sa comédie le Portrait. Chez le dramaturge anglais, la reine de Hongrie, au lieu de présider impartialement à l’épreuve, était à la fois jalouse de la bonne renommée de la comtesse et piquée au jeu par l’impertinente fidélité du comte ; elle envoyait chez la femme deux courtisans chargés de la tenter en calomniant le mari. Soit ! c’est une autre pièce, et moins simple : est-elle pour cela meilleure ? Chez Massinger, la vertu de la comtesse est un moment chancelante, et cette péripétie émeut le spectateur : à merveille ! Cette émotion est-elle pour cela nécessaire ? Le comte Ulric, chez Musset, ne doute pas un moment de sa femme, comme font le Mathias de Massinger et la Cymbeline de Shakspeare, et le spectateur est aussi rassuré que lui : est-ce un mal ? Il faudrait le prouver. Nous ne goûtons point ici ce plaisir de l’incertitude qui, je le sais, est un des plus ordinaires au théâtre ; l’auteur, il est vrai, nous le refuse, mais qu’importe, s’il nous en procure un autre ? L’épreuve, dites-vous, n’est ni sérieuse ni valable, et si le poète a voulu prouver que les honnêtes femmes se gardent elles-mêmes, il devait choisir pour tenter celle-ci un diable plus malin et plus déterminé que Rosemberg. Assurément, mais de quel droit lui prêtez-vous cette ambition ? Justement il fait dire par son héroïne elle-même : « Ce garçon-là n’est pas bien méchant. » Il n’a pas entrepris de soutenir une thèse ni de démontrer une vérité morale, mais seulement de narrer en un joli dialogue une historiette du temps passé. L’a-t-il fait, oui ou non ? Oui sans doute ; et, comme moi, vous auriez pris plaisir à l’entendre si vous n’étiez venu au théâtre assez mal disposé.

La morale de tout cela, c’est qu’il ne faut pas faire aux auteurs, même de génie, l’honneur de réclamer d’eux autre chose que ce qu’ils vous offrent. Barberine, je le sais, ne contient guère qu’un bon rôle : celui de la comtesse. Non que le personnage de Rosemberg soit aussi trouble et mystérieux qu’on le dit : ce jouvenceau étourdi, à peine déniché, un peu sot mais point grotesque, en somme, ni méchant ni déplaisant, est un personnage qui ne demande qu’à être joué avec naïveté par un jeune comédien de visage et de voix agréables ; mais Rosemberg tout seul n’a qu’une valeur médiocre, il n’est bon qu’à donner la réplique à Barberine. Pour celle-ci, je ne sache pas que personne ait méconnu son prix. Barberine est une perle, et bien nôtre, j’entends purement française, et donnée à la France par Musset qui l’a trouvée.

Certes je ne veux pas médire de la Sophia de Massinger, et j’admire l’Imogène de Shakspeare, pour sa chasteté courageuse, douce et passionnée ; même je fais cas, ainsi qu’il sied, de la femme de ce Bernard de Gênes, que Musset apparemment (avait entrevue dans Boccace, fort ressemblante à Barberine, car elle était, au dire de son mari et « par grâce spéciale de Dieu, — qui peut un peu plus que l’empereur,