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de fixer des dates et de les fixer comme elles doivent être fixées, par le témoignage des actes authentiques, ou, si malheureusement on ne peut pas les atteindre, de déterminer, d’induction en induction, les limites extrêmes entre lesquelles elles oscilleront. Il s’agit de débrouiller des biographies, de les débarrasser de la rouille de la superstition (la légende ne se mêlant nulle part peut-être plus confusément à la vérité que dans l’histoire de l’art), et ainsi de donner une base certaine à ces considérations dont on est si prodigue sur les influences successives qu’au cours de sa carrière un grand artiste a pu subir. Il s’agit encore de préciser des époques et de déterminer rigoureusement ce que j’appellerai l’apport de chaque artiste à la technique ou, si l’on aime mieux, au matériel de l’art, car autrement les jugemens sont en l’air, parce que, si l’état de la langue est un indispensable élément de l’appréciation que l’on fait d’un écrivain, c’est un élément bien plus important encore du jugement à porter sur un sculpteur ou sur un peintre que la connaissance des moyens d’exécution dont il a pu disposer en son temps. Il s’agit enfin de discerner et de renouer historiquement la filiation des écoles ; par quelles communications les qualités ou les défauts se sont transmis, sous l’action de quelles causés la conception de l’art s’est modifiée, pourquoi les Hollandais sont des Hollandais et les Italiens des Italiens, ce qu’il y a d’acquis, d’inoculé, pour ainsi dire, ou de pleinement original dans l’art d’une race et d’un temps. Si c’était M. Eugène Müntz que l’on mît dans la chaire de M. Charles Blanc, telle est à peu près, si nous en jugeons sur ses travaux antérieurs, la direction que prendrait l’enseignement de l’histoire de Part. M. Müntz est un érudit, mais un érudit capable, et il l’a prouvé, de mettre lui-même ses matériaux en œuvre et d’en tirer non-seulement des dissertations spéciales, comme celles qu’il a publiées sur les Arts à la cour des papes, recueil d’ailleurs infiniment précieux de documens authentiques et de renseignemens inédits, mais des livres, de vrais livres, comme son Raphaël et comme ses Précurseurs de la renaissance, à l’usage de tout le monde, et qui sont un sûr garant qu’il saurait, s’il le voulait, donnera son cours ce degré de généralité que doit avoir un cours de l’histoire de l’art. Et cependant ne serait-il pas à craindre qu’il tombât, comme on dit, du côté où il penche et que, pour se faire pardonner par les érudits d’avoir écrit des livres lisibles, — ce qui n’est pas, comme on sait, un mince grief, — il ne fît peut-être de son cours ce que plus d’un professeur du même Collège de France a déjà fait du sien, un cours d’érudition pure, à l’usage de quelques initiés qui se cantonneraient comme lui, pour la vie entière, dans l’histoire de la renaissance italienne ?

Mais si M. Müntz est déjà cantonné dans une province de l’histoire de l’art, — la plus vaste, il est vrai, la plus diverse, et celle enfin que