caractéristique. Le cadre a beau n’être point grand, il sait y concentrer les événemens et résumer un volume en un seul personnage d’avant-scène, Faudra-t-il maintenant n’admirer dans une pareille œuvre que le beau musical spécifique : détails harmoniques et enharmoniques. accords conjoints et disjoints, rythmes, intervalles chromatiques ? Eh bien ! même en vous plaçant à ce seul point de vue technique, l’intérêt serait encore grand ; car les chefs-d’œuvre ont ce privilège de pouvoir être interrogés sous chacune de leurs faces. Mais soyez sans crainte, le beau matériel ne fera que venir en aide à l’idée et servir à sa gloire. Cet orage peint en mineur, ces reproductions ascendantes du même rythme de demi-ton en demi-ton, ces étonnantes recrudescences de sonorité finiront par avoir raison de votre entêtement. Vous penserez, vous rêverez malgré vous, et quand arrivera la note finale, quand vous entendrez cet Alléluia se posant sur la médiante au lieu de s’établir définitivement et résolument sur la tonique, vous comprendrez ce que Schubert a voulu dire : rémission, non consolation !
Rapprocher, comparer, analyser, voilà notre objectif moderne. N’a-t-on pas mille fois répété que notre époque était le royaume de la chimie ? L’enthousiasme à l’état de corps simple ne suffit plus ; il nous le faut raisonné, critique et composite : sans doute, il y aura toujours des dilettantes pour courir les théâtres, les salles de concert et les églises en s’écriant : l’immortel Molière ! le divin Mozart ! le séraphique Palestrina ! Mais leur influence ne prévaudra plus. L’esprit qui nous gouverne aujourd’hui est conférencier, il cherche à se rendre compte sur tous les points, tend aux découvertes, fût-ce au risque de s’aventurer un peu quelquefois. Essentia beatitudinis in actu intellectus consistit : il semble que ce mot d’un grand penseur du moyen âge soit de saison plus que jamais, et » nous l’invoquerions volontiers en terminant, car, si la Religieuse de Diderot et la Religieuse de Schubert, après comme devant, continueront de vivre chacune de son côté, de sa vie propre, il n’en demeure pas moins vrai que celui qui trouvera le loisir de commenter les deux ouvrages l’un par l’autre et, qu’on me passe l’expression, de lire Diderot avec accompagnement de Schubert celui-là n’aura pas perdu sa soirée.
HENRI BLAZE DE BURY.