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parti pour conquérir un morceau de la Silésie au profit de l’ami de Voltaire ; alors il y avait du doute et des blasphèmes. La Lénore de Scheffer vit au contraire à une époque toute catholique ; celle-là ne blasphémera pas la divinité, et le cavalier trépassé ne viendra pas l’enlever. Sa tête, comme une fleur affligée, s’incline sur l’épaule de sa mère, tandis que du haut de son coursier de bataille, un chevalier jette sur elle un regard plein de pitié. La fleur se fanera, mais elle ne maudira point. C’est une douce composition qui écarte et chasse au loin les esprits de haine et de rage, un tableau tout harmonieux, où, dans la musique des couleurs, règne l’unité la plus consolante, et c’est en même temps le plus heureux des contresens.

Le nom de Zumsteeg n’en reste pas moins fort oublié, et la plupart des gens qui le citent dans la conversation ne le connaissent que par ouï-dire ; il a cependant, de même que Tomascheck, son contemporain, et, comme Schubert, Schumann et Löwe, ses descendans, produit des œuvres très nombreuses et très diverses : opéras, cantates à grand orchestre, solos d’instrumens à cordes, récits dramatiques d’après Schiller, d’après Klopstock, méditations ossianiques, jusqu’à des épigrammes, jusqu’à des fables ; l’apologue du Coucou, de la Chouette et des Deux Hiboux. Ils sont là quatre, plus hideux les uns que les autres, conspués du monde entier et se distribuant entre eux des complimens : « Notre éloge, qui le fera ? Personne ; faisons-le donc alors nous-mêmes. » Et pour exprimer la pérennité du panégyrique, l’auteur termine son morceau sur un accord de septième sans résolution.

Les Allemands ont toujours affectionné ces sortes de rébus. Ils en mettaient dans leurs tableaux et dans leurs gravures bien avant d’en mettre dans leur musique. Si peu que l’on ait présent à l’esprit l’œuvre d’Albert Durer, on se souviendra d’une estampe au millésime de 1504 : Adam et Eve près de l’arbre de science où le serpent est enroulé. Le paradis foisonne d’animaux, un chat se pelotonne aux pieds d’Eve ; à côté de ce chat, une souris pleine de confiance, un lièvre assis tranquillement ; l’innocence et la paix règnent encore. Jusque-là, rien d’énigmatique ; regardons mieux. Derrière l’arbre fatal, appuyé au tronc, se dresse une licorne. Vous passerez vingt fois devant cette page sans vous douter qu’il s’y cache une de ces charades dont raffolait il y a trois ou quatre ans la badauderie parisienne : licorne en allemand se dit Elend, qui signifie également malheur et misère. Or n’est-il pas écrit que, derrière la chute, le malheur guette ? A vous de comprendre. Une autre fois ce sera Steinle qui, pour rendre cette pensée : Nulla fides, peindra un violon brisé aux pieds d’un enfant, car violon se traduit aussi par fides. Ce qui nous constitue un tableau qui pourrait ad libitum s’intituler : « Plus de foi, ou plus de violon sur cette terre. » Ce