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nuages ; il nous dit le sentiment qui l’affecte et d’une manière qu’on ne s’y méprend pas. Permis à tous de le traduire, de le commenter, quant à divaguer longuement à son sujet, peine d’amour perdue ! De l’esthétique autant qu’il vous plaira, de la psychologie à des profondeurs infinies, rien de fantastique ! Schubert est le contraire : il prête aux interprétations sans nombre ; Beethoven n’en veut qu’à votre entendement, à votre âme ; Schubert guette vos sens et vous amorce. Chacun de ses tableaux ouvre à vos yeux des perspectives nouvelles. Nul compositeur n’a mis dans son art tant de choses diverses, ondoyantes ; sa musique est imprégnée de pittoresque et de littérature. Il est le plus moderne. des modernes. Mais tout ceci doit être démontré.


I

Victor Hugo n’a pas inventé la ballade, Schubert non plus, et de même qu’en France nous avons eu nos poètes du XVIe siècle, de même, les Allemands ont eu leur pléiade musicale, qui date de 1773, époque où prit naissance la Lénore de Bürger. Je veux parler de la ballade comme l’entend Schubert, c’est-à-dire d’une sorte de composition homogène formant avec le texte littéraire quelque chose d’organique et d’architectural, pénétrant au cœur de la situation, l’illustrant au lieu de procéder tout simplement par refrains, strophes et couplets à la manière des chansons d’autrefois. On est toujours le fils de quelqu’un et dans le genre spécial qu’il devait porter si haut, Schubert lui-même eut ses ancêtres ; Johann André, Zumsteeg, Tomascheck, Zelter (le correspondant de Goethe), Reichardt l’ont précédé non sans gloire, d’autres l’ont suivi qui mériteraient peut-être eux aussi d’être signalés : Karl Löwe et Robert Franz. Longtemps nous avons cru qu’un pareil sujet était de ceux dont il faut se défiée, cependant maintes raisons nous y invitent ; nos lectures d’abord, tant d’ouvrages, publiés en Allemagne par des écrivains qui sont des esthéticiens bien plus encore que des musicologues ; les Ambros, les Riehl, les Otto Jahn. nous ont mis en goût d’investigations… Ces précurseurs, dont on nous racontait les tentatives, nous avons voulu les connaître, et si nous en parlons à notre tour, c’est après n’avoir rien négligé pour entrer directement dans leurs confidences. Le temps est à l’étude des analogies : notre imagination, plus déliée et plus vibrante, fait des rêves de transposition d’un art dans l’autre ; nous aimons qu’il y ait de quoi entendre, mais nous voulons surtout qu’il y ait de quoi réfléchir et discourir pour et contre et alentour : je me figure un Diderot avec sa nature impressive, sa logique brisée, saccadée, s’emparant de la conversation. Que de thèmes nouveaux pour lui dans cet art musical dont il