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point par le président de la république, présent cependant à la cérémonie, mais par le grand-maître de la loge maçonnique de la Virginie, assisté par les treize grands-maîtres des loges des treize états primitifs. J’aurais été assez curieux de voir cette exhibition de francs-maçons en uniformes et tabliers, revêtus des insignes de leurs grades. La substitution du grand-maître d’une loge maçonnique au chef de l’état dans une cérémonie officielle et patriotique m’étonne bien un peu, et j’interroge à ce sujet. On m’assure que cette intervention des francs-maçons dans une cérémonie, toute maçonnique à la vérité, n’a rien d’insolite aux États-Unis, et que, Washington ayant été membre de la loge maçonnique de la Virginie, cette loge, particulièrement honorée aux États-Unis, avait droit en quelque sorte à y jouer le rôle principal. On ajoute que la franc-maçonnerie aux États-Unis n’a point le caractère politique et anti-religieux qu’elle a pris chez nous. « C’est, me dit-on, une société secrète qui n’a pas de secrets, » Toutes ces explications laissent cependant subsister certains doutes dans mon esprit, et je me demande s’il n’y a pas là un indice de l’influence croissante qu’au dire de certains auteurs peu favorables aux États-Unis, la franc-maçonnerie serait en train de prendre dans ce pays. En tout cas, ce petit fait serait un argument en faveur de leur, thèse, et je le leur livre de bonne foi.

Nous profitons des quelques heures qui nous restent avant la tombée du jour pour descendre trois ou quatre à terre et pour faire le tour des remparts de la ville, à la recherche des positions occupées autrefois par les troupes françaises. Ce pèlerinage patriotique ne répond pas tout à fait à nos recherches. Les environs d’Yorktown ont été en effet, pendant la guerre de sécession, le théâtre de luttes acharnées entre l’armée du Nord, commandée par le général Mac-Clellan et celle des états confédérés, lutte où le Nord a eu le dessous. Le terrain a été remué de nouveau en maint endroit, et, malgré les connaissances topographiques de mes compagnons, il leur est souvent difficile de distinguer entre les anciens ouvrages et les nouveaux. Aussi j’avoue prendre prosaïquement plus d’intérêt aux travaux tout modernes du chemin de fer. Il y a quelques jours encore, il n’y avait pas de chemin de fer arrivant jusqu’à Yorktown. Voici comment on procède. Sur un talus à peine tassé et égalisé on pose des traverses ; sur ces traverses, des rails. Le chemin de fer va jusqu’au bout de ces rails et descend ses voyageurs en plein champ ; chaque jour, chaque heure même, il avance de quelques mètres ; hier, il s’arrêtait à un mille de la ville, aujourd’hui, il va jusqu’aux portes ; demain, on le poussera jusqu’au camp. Les trains font la navette, arrivant à des heures irrégulières et emmenant, après avoir stationné pendant deux heures, les voyageurs qui se trouvent