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mêle encore une question de patriotisme. Leur passé historique est si court qu’ils ont à cœur de ressusciter leur passé préhistorique. De même que les moindres faits de leurs annales sont environnés de leur culte et de leurs pieux souvenirs, de même tout ce qui touche à l’histoire de leur vieux continent, à l’origine obscure de leurs premiers habitans, au développement de leur antique civilisation, est l’objet de leurs investigations minutieuses. Loin d’avoir le mépris de leurs pères, ils voudraient savoir de qui ils sont les petits-fils, et je ne connais pas de sentiment qui soit plus à l’honneur d’un peuple jeune.

Les environs immédiats de Washington doivent d’avoir en partie conservé leur aspect pittoresque à leur stérilité même. Le sol sablonneux n’a pas été mis en culture avec autant d’ardeur que les régions fertiles de la Nouvelle-Angleterre, et une partie des antiques bois est encore debout. La plus belle promenade qu’il y ait à faire aux alentours de la ville est une visite au cimetière d’Arlington, où ont été réunis les cadavres de tous ceux qui ont été tués dans les nombreux combats dont la Virginie a été le théâtre pendant la guerre de sécession. C’est depuis quelques années seulement que le Nord et le Sud ont commencé à réunir leurs morts dans de vastes nécropoles qui leur sont exclusivement consacrées, et il y a plusieurs cimetières de ce genre aux États-Unis. Mais de tous ces cimetières le plus vaste et le plus beau est incontestablement celui d’Arlington, car on y a rassemblé les dépouilles de tous ceux qui ont été tués durant les désastreuses défaites qui ont signalé pour le Nord le commencement de la lutte. Ce qui rend pour nous cette visite plus particulièrement intéressante, c’est que notre guide est le général Sherman, le véritable héros de la guerre de sécession, celui qui poussa cette pointe hardie à travers les états du Sud, d’Atlanta à Richmond, pour compléter l’investissement de la capitale du Sud aux abois. Je l’avais déjà été voir la veille, porteur d’une lettre d’introduction, dans la petite maison très modeste où il demeure, malgré sa grande situation de commandant en chef de l’armée des États-Unis. Je lui avais bien trouvé l’air que je me figurais, quelque chose à la fois de martial et de simple, moitié soldat et moitié gentleman-farmer, un Davout tempéré par un Bugeaud. La considération dont il est entouré aux États-Unis n’est pas moindre que sa renommée, car, à la différence du plus illustre de ses compagnons d’armes, le général Grant, il n’a pas cherché à faire de ses services militaires le marchepied de sa fortune politique. C’est lui qui nous a proposé Cette promenade, et il est intéressant de l’entendre parler des événemens de cette terrible guerre en acteur, mais en acteur impartial, et au point de vue militaire seulement.