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lors admis, une élection pour la présidence définitive a eu lieu, et la majorité de M. Bayard s’est changée en une minorité de deux voix. Le candidat des républicains a été nommé, et M. Bayard a repris son rôle de leader de l’opposition. En France, on ne ferait pas mieux. C’est le matin même qu’on nous a informés de ce changement en nous avertissant qu’une fois admis dans la salle des séances, le sénat suspendrait probablement en notre honneur le cours de ses délibérations. Nous sommes introduits, en effet, dans la salle, non point dans les tribunes, mais dans une partie réservée derrière les sièges des sénateurs. M. Bayard se lève alors et, dans un langage très élégant, propose au sénat de suspendre sa séance pour que nous puissions être introduits dans l’espace réservé aux sénateurs et entrer en relations directes avec les membres de la haute assemblée. Dans notre pays, pareille motion serait faite par le président. Ici, au contraire, elle est faite par le chef de l’opposition ; le président représentant de la majorité se borne à recueillir les ayes et les noes. C’est la manière anglaise de constater l’unanimité. Nous sommes alors introduits dans l’espace réservé aux sénateurs ; c’était la politesse la plus grande que le sénat pût nous faire ; on eût appelé cela autrefois chez nous : admettre aux honneurs de la séance. Le président du sénat descend de son bureau. M. Bayard vient se mettre à côté de lui, et chacun d’eux nous serre la main à mesure que nous défilons. On reconnaît là tout de suite un pays où les partis sont disciplinés et où leurs chefs ont en quelque sorte une position officielle. Pendant les quelques minutes que nous passons dans la salle du sénat, je m’applique à noter ce qui distingue cette salle d’une salle de séances française. Elle est rectangulaire au lieu d’être en hémicycle, et chacun des sénateurs est assis sur un siège canné, tournant sur pivot, avec un petit bureau devant lui. Je regarde aussi les sénateurs : les uns ont l’air aussi comme il faut que quiconque ; les autres sont d’aspect moins distingué, et j’imagine que l’on doit trouver de ces différences jusque dans la chambre des lords. Chambre des lords et sénat américain sont aujourd’hui, j’en suis convaincu, plus semblables qu’au temps où maints lords arrivaient le soir un peu gris et où par contre Webster, le Berryer de l’Amérique, se mouchait, m’a-t-on dit, dans ses doigts à la tribune. Je note cependant un petit trait : beaucoup de sénateurs, et le président du sénat lui-même, ont un chapeau en feutre mou. En Europe, on ne viendrait guère à une assemblée délibérante autrement qu’avec un chapeau noir. Je n’ai pas grand temps, du reste, pour faire mes observations, car, au bout de quelques minutes, nous quittons la salle des séances et nous revenons à l’hôtel, tous enchantés de notre journée, y compris certain courrier que nous