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au milieu d’une région assez stérile, sur un fleuve difficilement navigable, n’y prêtait pas beaucoup. Puis le caprice s’en est mêlé. Pour que la mise à exécution du plan répondit au tracé, il aurait fallu que la population se groupât d’abord autour du Capitole et que les maisons fussent régulièrement construites, l’une après l’autre, le long de toutes les avenues qui y convergent, de façon que le Capitole demeurât toujours au centre de la ville. Or il s’en faut que ce système de construction ait été suivi. Il y a tout d’abord une portion de l’emplacement réservé à la ville future ou la population a obstinément refusé de se porter : c’est toute celle qui est comprise entre le Capitole et la rivière qu’on appelle l’Eastern Branch. Il y a là de grands espaces qui sont restés presque déserts. Il en résulte que le Capitole, au lieu d’être au centre de la ville, se trouve en quelque sorte à l’extrémité, ou du moins à l’extrémité de la portion réellement habitée, et sa plus belle façade est tournée du côté désert, de sorte qu’en arrivant, c’est toujours par derrière qu’on l’aperçoit. De plus, les maisons ont été bâties capricieusement, là où chaque constructeur a trouvé un emplacement à sa convenance. Il en résulte qu’on rencontre à chaque pas des terrains vagues. Il y en a au pied même du Capitole, où des vaches broutent l’herbe, tout comme dans le Campo Vaccino, l’antique Forum. Par contre, il y a des habitations fort élégantes qu’on a construites à deux ou trois milles du Capitole et auxquelles on n’arrive qu’après avoir traversé des régions presque désertes. Aussi les distances sont-elles considérables à Washington, et d’aucuns pourraient trouver que cela est assez incommode. Mais le patriotisme américain, qui n’est jamais en reste, en a tiré un sujet d’orgueil et appelle Washington la ville des magnifiques distances. Chose singulière, grâce à toutes ces disparates, à ce mélange d’élégance et d’inachevé, à ces avenues dix fois trop larges pour la population qui y circule, à ces places désertes, à ces espaces abandonnés, la capitale de ce pays, si plein de vie, de mouvement, d’avenir, a un certain air de ville morte. On dirait Versailles ou Rome, et lorsqu’on se promène le soir à travers ses rues solitaires et mal éclairées, l’aspect en a même quelque chose de lugubre. Mais le jour, avec ses grands bâtimens publics, ses larges voies de communication, ses squares plantés d’arbres et ornés de statues, elle a aussi un aspect de grandeur qui n’est pas indigne de l’homme dont elle porte le nom et du peuple aux grandes luttes politiques duquel elle sert aujourd’hui de théâtre.

La physionomie des villes influe, je commence à le croire, sur le caractère de leur population. A New-York, la ville de la richesse et de l’élégance, nous avons eu la réception sociale, empressée et délicate ; à Baltimore, nous avons eu la réception municipale, toute