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qui donne à l’étranger une singulière facilité pour se reconnaître, mais enlève à ces rues toute personnalité et toute vie. C’est que toutes les maisons paraissent avoir le même âge et avoir été construites par le même architecte. C’est qu’enfin tous les monumens qu’on rencontre sont essentiellement modernes et, à moins de bien rares exceptions, ne se rattachent à aucun souvenir qui soit plus vieux que le siècle. Baltimore est une des villes américaines qui en compte le plus grand nombre : de là son surnom de cité monumentale. Parmi ces monumens, le plus célèbre est celui de Washington, qui a une grande réputation aux États-Unis. C’est cependant sans beaucoup d’admiration que je passe au pied de ce monument, sorte de colonne Vendôme en marbre blanc, juché sur un massif piédestal. Chacun a ses préférences ou ses antipathies architecturales ; moi j’ai l’aversion du genre colonne. Continuant notre route un peu au hasard, nous arrivons dans Charles-street, qui est la rue des boutiques élégantes, la rue de la Paix ou la rue Vivienne de Baltimore. L’avant-déjeuner est, nous dit-on, l’heure consacrée au shopping. Aussi nous rencontrons, généralement deux par deux, beaucoup de jeunes filles dont nous admirons la taille bien prise, les petits pieds, la démarche cadencée et les toilettes de bon goût, sauf parfois, les chapeaux, dont la forme évasée et menaçante renchérit encore sur les affreux chapeaux parisiens appelés, je crois, chapeaux à la Clarisse Harlowe. La ville de Baltimore se vante (c’est une prétention qu’ont au reste plusieurs villes des États-Unis) d’être celle où l’on trouve le plus de jolies personnes, et celles que nous rencontrons ne font point mentir sa réputation.

Charles-street a déjà un certain air de fête, et c’est bien plus encore quand nous arrivons à Baltimore-street, grande artère commerciale qui coupe la ville dans presque toute sa longueur. Toutes les maisons sont littéralement pavoisées de drapeaux américains et de drapeaux français, en beaucoup plus grande quantité encore qu’à New-York, et la foule bourdonnante qui remplit la rue, déborde les trottoirs, envahit la chaussée, est manifestement en liesse. J’avais cru d’abord un peu orgueilleusement que notre présence dans la ville était la seule cause de cette joie. J’avais bien cependant remarqué nombre d’affiches où je lisais en grosses lettres : Oriole feast (fête du loriot). J’avais été aussi étonné de voir à la devanture de presque tous les magasins des loriots sous toutes les formes, empaillés d’abord, puis reproduits en gravures coloriées, peints sur des éventails, brodés sur des écrans ou des coussins, et je me demandais quel rapport ce volatile pouvait avoir avec la délégation française. Rentré à l’hôtel j’obtiens une explication qui, si elle satisfait ma curiosité, rabat un peu de mon amour-propre national. Cette explication, la voici. La ville de Baltimore, à peu près seule parmi les villes