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supérieurs à l’ennemi. Il faut être mon ami ou celui des Français, ajoutait-il ; si je ne suis pas content de vous, je m’arrangerai avec la cour de Vienne. »

Et pendant ce temps, à Dresde même, le pauvre Auguste et le comte de Brühl, assaillis d’instances contradictoires, ne savaient plus auquel entendre. Maurice et Broglie les conjuraient de ne pas céder et de ne pas mettre leurs moutons entre les mains du loup. Belle-Isle leur écrivait au contraire de Francfort que rien n’était plus imprudent que de mécontenter Frédéric par de vaines chicanes. Le seul moyen, disait-il, de le détourner de ses desseins était de lui céder en apparence, sauf à lui faire apercevoir ensuite la difficulté de leur exécution. « C’est ainsi, ajoutait-il, que lui-même s’y était toujours pris pour le conduire. » Restait à savoir si le procédé lui avait aussi bien réussi qu’il le croyait. Bref, après beaucoup d’incertitude, la cour de Dresde, comme c’est l’ordinaire de la faiblesse, céda au danger le plus immédiat, c’est-à-dire aux menaces de Frédéric, et se laissa arracher le désaveu de son premier ordre. Les généraux saxons reçurent la permission de suivre le roi de Prusse partout où il voudrait les conduire. En recevant avis de ce contre-ordre, Maurice, atterré, se borna à répondre à son frère ces trois mots : « Vous n’avez plus d’armée. » A Broglie il écrivait : « C’en est fait, la France n’a plus d’alliés ; le roi de Prusse vous hait et veut vous faire battre. » Et il ajoutait : « Je vous en avertis parce que votre gros Valori ne semble rien écouter de ce qu’il entend, ce qui ne l’empêche pas de boire et de manger d’autant[1]. »

Maurice se pressait trop, et le moment (qui approchait) où ses prédictions seraient vérifiées n’était pourtant pas encore venu. Frédéric ne tarda pas à reconnaître en effet que, même avec le secours des troupes saxonnes, mécontentes d’être traînées à la remorque, son plan (bien ou mal conçu le premier jour) ne pouvait plus répondre à ses espérances. L’effet de terreur qu’il s’était flatté de produire à Vienne par sa marche audacieuse était manqué : il n’était pas aisé d’intimider Marie-Thérèse, surtout quand elle recevait d’aussi bonnes nouvelles que la capitulation de Linz et les opérations victorieuses de Khevenhüller. Quelques milliers d’hommes que ce général put lui renvoyer, sans être même obligé de suspendre sa marche sur Munich, suffisaient amplement pour couvrir le capitale contre une surprise. Frédéric lui-même se trouva bientôt menacé en Moravie par des incursions de bandes farouches, produit de l’insurrection hongroise

  1. Belle-Isle à Desalleurs, 10 février 1742. — (Correspondance de Saxe. — Ministère des affaires étrangères.) Belle-Isle à Amelot, 4, 11 février 1742. (Correspondance de l’ambassade à la diète.) — Mémoires du maréchal de Belle-Isle. — Maurice de Saxe à Broglie, 22 février 1742. (Ministère de la guerre.) — Vitzthum, Maurice de Saxe, Lettres et Documens inédits, tirés des archives de Dresde, p. 425, 440.