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à Punta-Arenas, dans le détroit de Magellan, il nous semble possible d’affirmer que la guerre maritime dans l’avenir sera essentiellement une guerre de course. Ne sera-t-elle qu’une guerre de course ?

Frédéric II de Prusse disait que, pour vaincre, il fallait trois choses : de l’argent, de l’argent et encore de l’argent ; Danton, qu’il fallait trois choses : de l’audace, de l’audace et encore de l’audace. Le grand roi philosophe et guerrier, le grand révolutionnaire, se complètent l’un par l’autre, ou plutôt leur pensée est la même. Seulement, Frédéric se savait assez riche en audace pour en prêter à ceux qu’il inspirait de sa volonté puissante ; il n’en parlait pas, mais il prêchait d’exemple. Plus que jamais aujourd’hui, l’argent et l’audace sont les élémens premiers de la victoire, surtout dans une guerre maritime, quand argent et audace sont mis au service de la science et de l’expérience. On sait quel est le prix des cuirassés d’escadre ; l’argent n’a pas été ménagé pour en faire les instrumens de combat les plus puissans. Néanmoins, et, par la raison des choses, peut-être, à l’heure décisive, ne répondront-ils pas aux légitimes espérances qui inspirèrent les gouvernemens européens et les décidèrent à se lancer dans cette voie coûteuse d’innovations sans fin, et peut-être sans issue. Une flotte supérieure en nombre sera, dès le début des hostilités, maîtresse de la mer. Mais aujourd’hui cette souveraineté est un mot plus qu’un fait ; elle ne garantit pas même la sécurité du commerce national. Est-ce donc pour ce mince résultat que ces flottes ont été créées, et, la guerre venue, n’auront-elles pas un rôle à jouer, des missions à remplir, plus dignes des forces redoutables que chaque vaisseau porte en lui, et dont leur réunion semble devoir encore multiplier la puissance ? Ces missions, ce rôle, sont tout indiqués, à unie condition cependant : c’est que, descendant des hauteurs nuageuses de cette sentimentalité qui a créé cette monstrueuse association de mots : les droits de la guerre, on revienne à la logique qui en réalité mène le monde, et dont peuples et individus se repentent toujours d’avoir méconnu la loi.

La guerre peut être définie : l’appel suprême du droit contre la force qui nie ce droit ; d’où l’objectif supérieur de la guerre : faire le plus de mal possible à l’ennemi. Or, si un grand roi, philosophe et maître en l’art de la guerre, déclare que la richesse est le nerf de la guerre, tout ce qui frappe l’ennemi dans sa richesse, a fortiori tout ce qui l’atteint dans les sources mêmes de cette richesse, devient non-seulement légitime, mais s’impose comme obligatoire. M faut donc s’attendre à voir les flottes cuirassées, maîtresses de la mer, tourner leur puissance d’attaque et de destruction, à défaut d’adversaires se dérobant à leurs coups, contre toutes les villes du littoral, fortifiées ou non, pacifiques ou guerrières, les incendier, les ruiner et tout au moins les rançonner sans merci. Cela s’est fait