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guerre maritime semble n’avoir été comprise que de quelques rêveurs isolés ; de nouveaux incidens n’allaient pas tarder à la mettre en pleine lumière.

La guerre, mais une guerre dès longtemps prévue, éclate en Orient entre la Turquie et la Russie. La flotte russe est inférieure en nombre à la flotte turque ; comme naguère les Allemands à Kiel et à Wilhemshaven, les cuirassés russes s’enferment dans leurs ports inaccessibles de Cronstadt et de Nicolaïef ; les croiseurs russes porteront seuls le poids de la guerre, et quels croiseurs ? Des paquebots transformés comme la Vesta, n’ayant pas même une vitesse égale à celle de la plupart des cuirassés turcs. On sait quels services ils rendirent à leur pays, non pas en ruinant le commerce de la Turquie, — ce commerce est dans la main des neutres, — mais comme convoyeurs de ces chaloupes porte-torpilles (je ne dis pas des thornycrofts), qui, pendant toute la guerre tinrent en alerte les escadres turques et leur portèrent plus d’un coup meurtrier. Jusqu’ici cependant les faits ne vont pas à la preuve directe que nous cherchons ; une évolution marquée de la politique anglaise va nous la fournir. L’Angleterre semble vouloir, une fois encore, prendre en main la cause de son antique client, « l’homme malade » de Stamboul. Alors s’organise à Saint-Pétersbourg, à Moscou, la Société des croiseurs volontaires ; ses agens sont aux États-Unis, où ils achètent les croiseurs rapides, élémens de la nouvelle marine russe ; les équipages sont prêts, les officiers désignés et les dispositions du gouvernement, de l’opinion publique en Amérique, semblent peu favorables au respect des lois de la neutralité : les souvenirs de l’Alabama y sont encore vivans. L’Angleterre s’arrête, donnant une nouvelle preuve de son impuissance, et devant quels dangers recule-t-elle ? Devant la menace d’une guerre de course dont son commerce sera l’enjeu. Mais la leçon ne sera pas perdue : aux croiseurs improvisés de ses adversaires, elle opposera désormais toute une flotte de croiseurs, les uns véritables navires de combat, construits, armés pour la course ; les autres, paquebots aux vitesses supérieures, construits pour être transformés en navires de guerre dans des conditions spéciales, et qui, à l’heure venue, seront peut-être les élémens les plus effectifs de la défense de son commerce. La Servia est le dernier des paquebots de la compagnie Cunard, construits sous l’empire de ces idées ; il a 161 mètres de long, 15m,85 de large, sa capacité est de 5,500 tonnes, en dehors de 1,800 tonnes de charbon et 1,000 tonnes de water-ballast ; sa coque est en acier ; sa vitesse de 17 nœuds 1/2, peut-être 18 nœuds.

Ces puissans efforts de l’Angleterre sont significatifs. Aussi, sans rappeler les exploits du Huascar, les courses aventureuses de La Union, une sœur de l’Augusta, sur les côtes du Pacifique, du Callao