resteront impassibles devant les défis qui leur seront adressés. Les navires qu’ils devaient protéger font comme eux et restent cloués aux ports où la nouvelle de la guerre est venue les surprendre. Ceux qui parcourent les routes naguère pacifiques de l’océan, devenues pour eux pleines de périls, sont la proie de nos croiseurs, proie facile dont la meilleure et peut-être la seule protection fut encore les instructions singulières données à nos capitaines, à l’ouverture des hostilités. Mais l’heure sombre a sonné pour la France. Reischoffen, Sedan, Metz ont vu, comme en un gouffre immense, s’engloutir nos armées. La lutte continue, encore inégale, mais non désespérée. Des hommes, ils accourent en foule, mais comment en faire des armées ? Où sont les armes d’abord, les munitions, les approvisionnemens de tout genre qui leur sont nécessaires ? Depuis longtemps, nos arsenaux sont vides et l’industrie nationale est bien lente. Où les prendre ? où les acheter ? En Angleterre, en Amérique, sur tous les marchés du monde ; ces marchés nous restent ouverts ; nos croiseurs protègent les grandes routes qui y conduisent, nos escadres bloquent les côtes ennemies ; la France vaincue sur terre reste du moins reine et maîtresse de la mer.
Soudain, une nouvelle étrange retentit comme un cri d’alarme. Un croiseur allemand a déjoué la surveillance de nos escadres ; c’est l’Augusta, un des corsaires construits en France pour les rebelles américains, acheté naguère par la Prusse ; sa vitesse est supérieure à celle du plus rapide des croiseurs lancés à sa poursuite ; il a paru un moment devant Rochefort et il a capturé un aviso de l’état ; quelques heures après, il était à l’embouchure de la Gironde, et il capturait deux navires marchands qui déjà croyaient toucher au port. Où sera-t-il demain ? Sans doute sur les grandes routes de New-York au Havre, à Bordeaux ; la défiance est partout : frets d’assurances, frets de transports haussent déjà sur les marchés ouverts à nos efforts. Mais l’esprit des Semmes, des Wadell n’anime pas le capitaine de l’Augusta ; par un retour inespéré de la fortune de la France, il conduit son navire à Vigo pour y refaire ses approvisionnemens de charbon. Deux de nos croiseurs l’y suivent et mouillent à ses côtés : jusqu’à la fin de la guerre, l’Augusta restera impuissante.
Qui dira les difficultés qu’eût créées aux derniers élans de la défense nationale une décision plus virile, celle qu’auraient prise certainement ces hommes de mer intrépides qui commandaient les corsaires sécessionnistes, les Florida, les Alabama dont les exemples resteront comme d’éternels modèles ? Dans la crise suprême que nous traversions alors, dans les années qui suivirent, années de recueillement douloureux où tous les esprits étaient tournés vers les Vosges, l’incident de l’Augusta fut vite oublié, ses conséquences méconnues. L’importance du nouveau rôle des croiseurs dans toute